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danse - Page 20

  • Qui crâne?

    Les créations de cette compagnie me posent problème, tant elles me semblent jouer en creux avec les attentes et les réactions du public. Au détriment du fond, de l'affirmation? Ces propositions (provocations?) m'inspirent prolixité, scepticisme, ou emportements polémiques, c'est selon. L'accent étant tant mis sur la relation, risquée et tenue, que le contenu souvent s'évacue, me laisse avec la peur du vide. X-event 0 pousse jusqu'à un point extrême ce déséquilibre. Mais pour le coup ce n'est pas le cas ici, pour un projet on ne peut plus lisible. Le point d'arrivée est d'avance annoncé: la reproduction en corps d'un motif de tête de mort, une vivante vanité (dont on peut considérer les inspirations avec des lunettes rouges). 

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    Pas de surprise possible: au mur une video témoigne de la prise d'une photo identique, la cible. Mais c'est la manière complexe et imprévisible dont les danseurs vont parvenir jusqu'à cette image-cible qui constitue la performance en tant que telle, et tout autant nos efforts de spectateurs pour trouver une lisibilité à leurs actions. Dans ce sens l'expérience est ouverte. Le terrain de représentation est constitué d'une salle entière d'exposition, le public en demi cercle, plus ou moins. D'autres spectateurs au balcon. Les sept danseurs tendent à s'échapper du centre, et déborder les espaces d'observations, nous incitant à nous déplacer à notre tour. Ils bougent de temps en temps de quelques mêtres, vers l'immobilité, de stations en stations. Ils s'allongent alors, dans de telles positions, qu'on pourrait croire qu'ils se relaxent ou s'échauffent plutôt qu'ils ne commencent la performance. Il faut avoir la photo du crane en tête pour comprendre que chacun des sept compose déja l'un des élements de cette construction, mais pour le moment séparés. Le public est silencieux, discret, ne se déplace pas vraiment. Il y règne ici plus de recueillement que dans une église pour un enterrement. Le lieu d'art contemporain est blanc comme la mort, dépouillé. Au mur, ou dans la salle, des œuvres raréfiées. Qui passent au second plan derrière les mouvements vivants. Les danseurs sont vétus d'abord, de sportwears colorés. Puis dans un ordre dispersé ôtent et remettent bas et hauts. Leurs déshabillages et rhabillages mesurés font basculer l'entreprise et ses enjeux du coté de l'économie de l'érotisme. D'autant que le nu est attendu, annoncé par la vidéo. Pour s'agencer en un symbole funêbre, c'est la promesse d'une riche opposition. Je ne sais si elle sera tenue. Et les corps en jeu sont jeunes et beaux, filles et garçons. Des corps non désirants pourtant, froids, non agissants, utilisés, ramenés à l'état de matériaux sans cesse ré-agencés dans la construction du tout. Leurs regards absents. Dans cet espace blanc, des signes. Mais que je peine à déchiffrer, de plein pied avec les danseurs. Un mur sépare partiellement la salle en deux, empêche à partir d'un même poste d'observation de tous à la fois les considérer. Est-ce une occasion perdue pour méditer? Mon attention se fixe de moins en moins sur leurs déplacements, se lasse de cette poursuite, je me hasarde à la mezzanine, à la recherche d'un point de vue d'ensemble, plus vertical. Cela me permet distinguer d'en haut les figures, qui tendent plus ou moins vers un agencement. D'ici c'est plus intéressant, organique en sens, ces formes se font et défont, entropiquement, et sans donner le sentiment d'une intention. Plutôt d'obéir à des lois physiques. Il y a à entendre une rythmique sous- jacente, qui berce ces allers-retours, ces répétitions. Mais je m'en lasse aussi, redescends. Pour alors constater qu'une forme est enfin constituée, l'état stable, rassemblé.

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    Sauf que l'image est d'ici intelligible, voire le déclencheur d'interprétations incongrues: une orgie pétrifiée? Des figures animales rassemblées pour se réchauffer? Un charnier? A l'horizontal il n'y a que des nudités et des détails immanimés. Avec retard, je devine le crane sous les chairs. Pour le saisir, je retourne au balcon. Trop tard, les danseurs se dispersent déja, comme repoussés les uns les autres par des forces magnétiques. Seuls.

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    L'image funêbre s'est décomposé. Il ne subsiste que le fantôme de la forme, dans le vide autour de la danseuse du milieu. Gisante. La dissolution ne se produit pas d'un coup, progressivement, les élements survivent un peu, les corps peu à peu rhabillés, de retour vers le quotidien, l'activité. Pour se disperser parmi les spectateurs. C'est un retournement inattendu du symbole. La sensation me faisant toujours un peu défaut, pas déprimé pour autant, ni convaincu de la vacuité de l'existence, je cherche le sens. La morale de cette vanité. Je ne sais si cet art est mort ou vivant.

     C'était piece en sept morceaux, des gens d'Uterpan, au centre d'art contemporain de Bretigny 

    Guy

  • Les cris des spectateurs

    Le public manifeste, désinhibé comme rarement. Il se partage par manifestations entre incompréhension, soutien, et hostilité. Certains crient, ou rient bruyamment (il me semble à contretemps). D'autres imitent jusqu'à plus soif les bêlements, aboiements, et autres cris bestiaux poussés à un moment par les danseurs. Une spectatrice glousse quand sur scène s'échappe un sein.

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    Une partie du public soutient les artistes en applaudissant ou réclamant le silence. Certains soupirent, discutent à mi-voix avec leurs voisins, ramenés à l'ordre par d'autres dont un Jérome outré. Un long moment d'immobilité- les danseurs face à nous- fait croire à un salut qui déclenche des applaudissements prématurés et autant d'huées. Je ne sais coment recevoir ces réactions du public. Comme une forme d'engagement, une révolte légitime, une prise de parole de spectateurs mécontents et lassés de ne jamais disposer d'un espace pour s'exprimer? Ou comme de la grossiereté brute, un chahut d'école maternelle? Je me sens en tous cas géné pour ces artistes qui ne peuvent s'exprimer pleinement, et en raison du manque de patience, de curiosité et d'écoute de la part du public de ce soir aux Abbesses. Et j'aimerais être persuadé que ce public est aussi indiscipliné lorsqu'il est confronté à des oeuvres indigentes de chorégraphes plus installés que Lia Rodrigues. Mais également, je comprends. Il y a dans cet entreprise quelque chose d'inachevé qui provoque. Qui appelle des interventions, comme un vide qu'il faudrait combler. La montée finale des danseurs dans les travées, prend l'allure d'une désertion de la scène, comme si le propos de la chorégraphe s'était trop tôt épuisé. "Tout le monde n'en profite pas" reproche alors un spectateur placé de l'autre coté N'ont-ils plus rien à dire, aprés à peine 50 minutes écoulées? Quant à leurs intentions, je cherche en vain à les comprendre sur la feuille de salle, et sans plus de succés dans Libération.

    Tout commence bien pourtant, sur un mode collectif et revigorant. Ces jeunes gens déterminés envoient en l'air tout balader, de toutes les couleurs. C'est un beau foutoir. Puis on saisit vite le propos de la pièce, qui n'est pas trés original en soi, mais mené avec énergie: ces filles et garçons entreprennent de vivre à deux, tous ensemble. Et dans la sensualité, objectif jouissance. Les corps se projettent hauts, les hanches roulent exagérées, les peaux se recherchent et se trouvent vite, les regards caressent sensuels et gourmands. Les manoeuvres s'effectuent par couples dans un ensemble tourbillonnant, au rythme des respirations. Cet ensemble prend une belle énergie, une cohérence ébouriffante. Les corps crânent, le mot clé est la physicalité, débridée. Un arrêt sur images inquiète soudain. Puis les manoeuvres recommencent, mais semblent déja patiner. Entre deux pauses, d'une section à l'autre on ne voit que des variations, juste un peu plus que des nuances. Le public commence à attendre quelque chose et ne sait pas ce qu'il attend. Les danseurs s'accordent le temps de savourer des oranges, comme pour gagner deux minutes. Puis reprennent. Les épisodes suivant apportent quelques nouveautés, déclinées sur le thème des relations amoureuses: orgasmes trés verticaux, approches et étreintes plus agressives et forcés, orgie généralisée, retours comiques vers la bestialité, seins qui sortent et culottes mi-baissées. Mais une bonne partie du public s'impatiente, pour ma part je me demande si les improvisations qui ont donné la matière de cette pièce ont été suffisamment canalisées. Je ne parviens pas à donner du sens au résultat, ni comprendre sa progression, malgré la beauté et la vitalité des mouvements. Il aurait pû s'agir de l'épuisement d'une utopie hédoniste, qui sait? Mon attention se détourne par à coups de la scéne vers la salle, se lasse, je suis gagné par la distraction des rieurs et des distraits. Si le sujet de la piece est le "vivre ensemble", avec nous il n'est pas partagé, ou alors de manière trés imprévue et dissipée.

    C'était Pororoca, de Lia Rodrigues, au Théatre de la Ville  avec le Festival d'automne à Paris. Jusqu'à ce soir samedi.

    Guy

    Photo de Vincent Jeannot-Photodanse avec son aimable autorisation.

    P.S. : il s'agissait de la représentation du vendredi (racontée aussi ici), pour lire le recit d'une soirée plus calme cliquer là. Vendredi : Jerome Delatour calme le jeu...a-t-on sifflé sur l'octuple sentier?

  • Un Ange punk

    Elle surgit brute, regard baissé, indéfinie, perdue. A ses pieds laisse tomber son survet. Flotte un temps mal dégrossie, en pull informe et slip kangourou, les plis mous mais déjà dedans tendue, habitée d'énergie, à vue.

    Il lui suffit de lever un bras pour nous clouer. Le bras à sa suite la soulève et elle est comme mystique. Telle une Thérèse prête à léviter, déjà sur la pointe des pieds. D'un coup une décharge d'accordéon emplit tout, dans cette petite salle, devient les grandes orgues d'une cathédrale intérieure. Bave aux lèvres, son extase portée à deux doigts de l'idiotie. Son corps est superbe dans sa gaucherie retrouvée et offerte: bancale et poils aux pattes, l'air d'un garçon. Buté, osé. Sa passion déferle. La suite est déchaînée, soucis de soi rejeté aux orties. L'être libre s'extirpe par la musique: Parle attaque, fait fuir encore quelques oreilles, trop fragiles, vers la sortie, accompagnées d'yeux effarouchés. Elle: ses mouvements déraisonnés la font se perdre et s'écrouler, se tordre, se retourner, nous entraîner avec elle hors de contrôle, loin de la culture, s'abîmer contre les murs, les fenêtres et toutes les limites, contre le sol s'éprouver. Le pull y devient camisole, dont elle ne peut jamais tout à fait se libérer. Canette aux lèvres, l'ange ivre erre encore, se cogne la chair à se blesser, la bière gicle. Où va-t-elle ? Vers la douleur, la vérité ?

    Ce quart d'heure de dangers nous guérit d'éternités de théâtre poussif.

    C'était Avant que les brumes de l'automne se dissolvent de Marianela Léon (danse) et Claude Parle (Accordéon), à la Petite Rockette , 6 rue Saint Maur, Paris XI° dans le cadre des rencontres Butoh Ouvert. Prochaine date le 19 décembre.

    Guy

  • Just a Dream

    Dans la performance de ce soir c'est à notre tour de trouver notre position, d'en changer au gré des stimulations. Etre où il faut, discretement  empressés, hésiter, attirés entre différents pôles d'attraction, placer et déplacer nos regards dans ce cadre qui nous attend, beau et étrange, pour s'animer.

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    Ensemble, les uns par les autres dans ces mouvements influencés, mais sans pourtant entre nous vraiment communiquer, pour aussi y imaginer ce qui lie ces artistes pour un soir rassemblés, nous penétrons la pénombre. D'un quasi conte de fées, dans la profondeur d'un rêve. Les formes immobiles sont autant d'énigmes. Au mur de la lumière et l'eau, des sons sous-marins. Une femme est allongée. Figée, sauf sa voix: en blanc c'est une femme clinique, aux angles aigus. Son recit fuit, elle plonge au mur, se noie, les voix, elles aussi, se noient dans la confusion. Quelque chose émerge de l'inanimé, d'un amas de papiers, c'est un personnage emballé et maladroit, un objet télécommandé qui répond à des instructions tranchées, suivi par nos mouvements de foule. Nous l'entourons. Il obéit d'avant en arrière, dans ce cocon le désir est enveloppé, et cette enveloppe gonflée par une respiration. Tout est caché. Des sons viennent de partout, et des images, qui sur le blanc s'impriment. Puis le rouge gagne, pour une naissance lente, déchirée. Elle est noire dedans, cheveux argent. Son double la rejoint. Cela pourrait être de la danse ou le début d'une histoire. L'espace est ouaté.

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    Eveillée par notre attente, une femme sort du sommeil, défait l'infini echeveau de ses cheveux, soyeux, oeuvre sans se piquer le doigt, caresse un impossible instrument de musique. C'est une harpe à lames, aquatique, aux sons qui nous entourent, flous. Une femme miroir aux gestes peut-être buto nous renvoie d'autres images oniriques. Le rêve s'enfuit, dehors à Gentilly il fait nuit.

    C'était Killing the flirt, performance gestuelle et multimedia d'Anna Ventura: collaborations avec Serge Courtinat (No swimming pool), Camille Benecci (Isi et C in the box), Karinn Helbert (Poupée Kantor) au Générateur, dans le cadre du festival Frasq

    Guy

    photos (Droits réservés) avec l'aimable autorisation d'Anna Ventura

    ici le blog de Frasq

  • In and Out

    Nous sommes déja entrés, assis, installés. C'est à elle d'y trouver sa place, dans ce lieu, s'y glisser et y être, dans cette espace imprimer une trajectoire, des impressions, des idées. Le contexte reste de pure réalité, en lumière neutre, non théatralisé. Elle propose à l'un d'entre nous de tenir une camera: devenir participant en restant spectateur. Puis crée sa performance à vue, sans plus de moyens que son corps et quelques accessoires, pour ainsi dire à mains nues. L'artiste se tient à la lisière des codes: la quarantaine pincée ne détonne pas dans cette galerie d'art. Ni ses vétements chics, mais ils sont lacérés, ouverts sur sa chair: une première brêche qui déchire la normalité.

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    Sur son visage des peintures, aux murs des oeuvres furieuses, transgressives, crues. Au sol est construit un cercle, mais sans qu'elle y soit enfermée, et sur le coté des rideaux de couleurs. Elle les traverse aussi, y reste entre-deux comme retenue, encore, longtemps, y revient attirée. Tout notre plaisir se maintient et se tend à ne rien savoir, ne pas pouvoir anticiper ces actions qui semblent s'improviser dans la dynamique inconnue de celles de la veille et celles du lendemain. Puis on interprête, plus ou moins. En fond sonore un discours sur la performance, que l'on oublie d'écouter, comme pour ignorer une concession à cette auto-complaisance sans doute consubstantielle au genre. Notre incertitude est adoucie par sa danse, accroupie, à terre, allongée, de retour dans le cercle, puis au delà.

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    Elle se rapproche parfois, trés près de nous, comme pour venir nous chercher, puis retourne interroger les limites d'à travers les rideaux. Peu à peu, sans se forcer, elle a changé, s'est défigurée, est passée de l'autre coté. Elle a rempli le cercle d'eau: il faudra qu'elle y retourne s'y plonger, mais que fera-t-elle (sur son corps) de ces bonshommes de papiers? Pour encore se transformer. De son corsage elle extrait une cigarette, en inspire-expire la fumée. Est-ce aujourd'hui cela se mettre en danger, s'engager? Sous la jupe elle est nue. Discretement (oserait-on écrire), mais nue et sans filet: ici mise en jeu aussi. Et celà abolit une autre frontière entre le regard public et le corps privé, entre le dedans et le dehors.

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    A travers une large baie vitrée, la galerie elle-même est ouverte à la vue des passants: dehors le monde entier, ou sa possibilité. Elle change, et donc le monde juste un peu. Un moment, elle sort, dehors. Pas longtemps. Dedans, l'inconscient gagne du terrain, alors que dans le cercle inondé, elle se transforme en sirène aveuglée. Ou en tout autre chose, selon les imaginaires. Mais elle devient une figure héroïque, pour le moins.

    C'était une étape de Corps en Papouasie, serie de performances de Christine Renée Graz, à la galerie Deborah Zafman, dans le cadre du festival Frasq. Frasq se conclut ce dimanche au Générateur, avec la performance culinaire de Kataline Patkai, déja vue au Regard du Cygne.

    Guy

    images vidéo de Véronique Godé-Orevo, avec l'aimable autorisation de Christine Renée Graz

    Ici le blog de Frasq

  • Tout et l'inverse

    Vite tout s'inverse, il faut un beau moment pour comprendre qu'ils sont à l'envers, devant - derrière, marionnettes sans fils, mannequins grotesques et masqués, épouvantails aux drôles de sexes postiches et volontaristes. Les danseurs s'agitent égarés et frénétiques, n'ont plus de l'existence que les attitudes, inattendus, les postures épuisées de signification. On entend des voix superposées et donc inintelligibles, qui se perdent dans des considérations introverties, tandis que les trois danseurs se bousculent sans/sens dessus dessous, partent vers nulle - part au coup de pistolet pour une course improbable. Les gestes de frimes, ou de sociabilité, survivent à peine, simulacres, s'éffrondent, ont besoin d'être étayés. Je vois l'absurde à l'oeuvre. Puis les habillages et déshabillages s'embrouillent, quand tous les vêtements sont tombé la vérité se perd en route. Tout se complique et vite entre homme et femme, haut et bas, devant et derrière, en jeux de miroir entre être nu et être civilisé. On est gagné par une drôle de confusion.

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    Reste enfin un couple, sur les peaux nues s'échangent les images de l'un et l'autre. Les projections de seins, de sexes, de visages typés, se posent sur les corps hospitaliers et sur les sexes opposés, les attributs nouvellement attribués, les genres interchangés, à la rencontre de principes jusqu'alors bien séparés... en pleine réconciliation. Les corps se trompent, ou se rêvent, ou se révèlent enfin, hybrides, hermaphrodites. Les nudités virtuelles et vraies se combinent, c'est-à-dire que le nu ne révèle plus rien, sinon des potentialités profondes, en une régression hypnotique vers l'indifférenciation. C'est troublant et souriant: en beauté, ces danseurs nous titillent l'identité.

    C'était Bonnes Nouvelles de Matthieu Hocquemiller , avec Evguénia Chtchelkova, Ludovic Lézin, Léonardo Montecchia, au Théatre de L'étoile du nord, dans le cadre du festival Avis de Turbulences # 5

    Guy

    Photo de Jérome Delatour avec l'aimable autorisation de Matthieu Hocqemiller

    Ici les photos de Vincent Jeannot, et celles d'Images de Danse.

  • Muets

    Une voix tente de témoigner, dans l'obscurité. Sans qu'aucune image ne vienne distraire notre écoute: c'est de la part du chorégraphe une première marque de respect. Mais cette voix ne peut exprimer que l'impuissance. Le récit n'est ni daté, ni situé, il ne fait pourtant aucun doute qu'il est vrai. Les évenements se devinent seulement, en douloureux évitements, on ne sait dans quel continent, par des visions situées au bord du champ de vision, l'indicible invisible. C'est une église qui brûle au loin, les réfugiés qui fuient, les corps au bord de la route, aprés. La barbarie abolit le sens, fige les mots, neutralisés, blancs, sans sens. L'irréalité le dispute à l'horreur quand la vie ne tient à plus rien, privée de sa valeur. Au hasard d'un barrage sur la route la survie elle-même échappe à toutes explications. Le crime contre l'humanité est un crime non seulement contre la chair, mais aussi contre l'esprit et la raison. Dans le prolongement de loin, le sujet auquel Rachid Ouramdane s'attaque n'est pas la violence politique en elle-même, mais l'incommunicabilité de cette expérience par ceux qui l'ont vécu.

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    Les mots sont empéchés: la danse prend le relais. Essaie. Ici est évité tout ce qui pourrait ressembler à du voyeurisme. Cette démarche va à contre courant du sensationnalisme ambiant. Au rebours de l'urgence de tout montrer sans réflexion ni distance. Se dresse un mur de lumière, dirigé contre nous. On voit des ombres qui errent dans l'entre-deux. Des êtres sans direction, sans visage. Il n'y a plus de sens. Ces déambulations déreglées durent longtemps. Notre attention est éprouvée, à raison. Les corps se désarticulent, lentement se renversent. Sans résilience ni remission? On ressent que ces contorsions renvoient par échos aux séquelles de la violence, évoquée par ses conséquences, jamais exposée. La compréhension ne se satisfait pas simplement de bons sentiments: des danseurs fléchissent, s'effondrent et se laissent glisser au sol, froudroyés par le passé. D'autres s'efforcent de les soutenir mais en vain, ils échappent à leur soutien. C'est que notre empathie ne va pas de soi: cette mémoire de l'indicible semble impossible à transmettre, à porter. D'autres témoignages d'autres pays reviennent suspendre le mouvement. Une femme tourne sur elle même, ne peut s'arrêter, emportée par ce dont elle ne peut se libérer, jusqu'à l'insoutenable, s'enflamme. L'oeuvre est difficile, dérangeante. Attachée justement à nous faire ressentir qu'en ce domaine nous ne pourrons jamais tout à fait comprendre. La violence ici la plus évidente est faite par la lumière, insupportable et aveuglante: tel est aussi l'effet des vérités que nous préférons éviter. Partout la barbarie avance, écrase tout sur son passage. Le geste est quant à lui fragile, pudique, il survit par notre seule attention, nous devons continuer à le regarder.

    C'était Des Témoins Ordinaires, de Rachid Ouramdane, au Théatre de Gennevilliers, avec le Festival d'Automne à Paris. Jusqu'au 18 octobre.

    Guy

    Lire aussi le Tadorne, bientôt Marsupilamia, et Loin.

    Photo d'Erell Melscoet avec l'aimable autorisation du Théatre de Genevilliers

  • 25 minutes

    Le danseur prend le temps du silence, invente une ligne dans le noir, déroule une bande. Il attend là longtemps, installé dans ce cadre minimal: on est souvent ainsi dans la vie, dans ces moments où l'on s'oublie, soi-même et sa place dans le monde. Et aux autres. Dans la salle il fait noir aussi.

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    Cette image aurait pu être empruntée à tant d'autres chorégraphies: un homme seul, de la pénombre, deux néons. Pourtant, ici plus qu'ailleurs, quelque chose convainc, cela ressemble plus à de l'apaisement qu'à de l'ennui. Le danseur avance dans la conscience de cet espace. Il en prend possession, mais comme à l'envers, démarche cassée, balloté par des hésitations, mu par quelque chose d'extérieur, d'autre. Puis tout devient plus physique, le garçon se lance dans l'action, cri raide comme un I, court, tombe, se couche. La musique se superpose aux mêmes mouvements. C'est tout, à peu prêt. Et donc trés peu réductible au récit. (Le coup du ruban, qui peut à peu envahit l'espace de la scéne: c'est trop vu, on oublie.) Mais le tout est bien comme cela, sans le besoin d'en tirer des conclusions, et l'inventaire des impressions. Bien en soi, en 25 minutes, point.

    C'était Ouvert de Samuel Mathieu avec Christophe Le Goff. Au Théatre de L'Etoile du Nord.

    Guy

    Avis de turbulences # 5 se poursuit du 15 au 17 octobre avec Philippe Ménard, Christian Ubl, Matthieu Hocquemiller.

    photo (droits réservés) avec l'aimable autorisation de l'Etoile du Nord

     

  • A propos d'Erika Zueneli

    Noon, Day-Break ou In-Contro: les intitulés allusifs, nous emmènent loin par des chemins détournés. Vers là où le mouvement fait sens. Pour percevoir l'indécision d'un tableau d'Hooper, matérialisée. Ou un corps inventaire, qui se décline en images de ciné, drôle et léger. Ou deux femmes qui se font face, attablées. Ce qu'elles dansent alors, en tensions et arrières pensées, c'est le sensible dévoilé, l'invisible mis à portée. Je vois ces deux femmes face à face se jauger, s'aimer et s'affronter, l'une après l'autre gagner et perdre, articuler leur gestes avec âpreté, je vois cela, et j'ai soudain le sentiment de saisir vraiment ce qui entre deux êtres se joue et se tend. Voire, grâce à cette silencieuse métaphore, je crois mieux comprendre ce que me montre cette danse, mais partout et ailleurs, hors de la scène, dans la rue, dans la vie, dans ce café, là où deux êtres parmi d'autres, avec leurs pensées et leurs gestes, se retrouvent face à face attablés.

     

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    Erika Zueneli remet la danse à sa place, au centre. Il n'y a peut-être que deux manières de danser. Soit à l'écoute d'un absolu qui surgirait de dedans, provenant de mystérieuses profondeurs. Soit en écho de notre rapport aux autres, de notre rapport au monde, ouvert à ce qui nous lie, ouvert sur le dehors. Cette seconde voie est périlleuse, tant elle peut mener au bavardage, aux évidences appuyées, au psychologisme, à la trivialité. Erika évite tous ces pièges, emprunte des sens interdits, des doubles sens, casse les évidences, met en œuvre sous la danse de redoutables énergies, de troublantes ironies. Sans toc ni pathos, ni aridité ni mièvrerie. Cet art sans révèle, comme rarement, sans qu'il soit jamais besoin d'expliquer.

    Les deux femmes attablées se sont levées, le terrain s'élargit, d'autres êtres rentrent dans le jeu, dans de nouveaux conflits. J'attends Tournois, impatient.

    Guy

    Texte écrit à l'occasion de l'ouverture de saison du Théatre Paul Eluard de Bezon où sera créé Tournois (titre provisoire) en avril 2010

    photo (In-Contro) de Vincent Jeannot-Photodanse avec l'aimable autorisation d'Erika Zueneli.

  • Peut être Maxence Rey

    Il y a ce que les chorégraphes écrivent, et ce qu'ils dansent, et ce que l'on voit, et ce que l'on pense. Et entre, des espaces délicieusement flous.... Avant de voir Maxence Rey danser son solo, je lis la présentation de la pièce - ce qu'on appelle les intentions- mais vite j'oublie tout, tant la piece s'impose, s'interpose.

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    D'abord la présence de l'interprête- c'est un fait: on oublie pas Maxence- en longueurs et étrangeté, l'attraction du visage, des yeux. Tous les mouvements partent de ces yeux. La théatralité nait en cet endroit, sans vains bavardage. Rien n'est prononcé à voix haute (et c'est heureux), mais dans le texte- quand même je m'en souviens- il était question de vulnérabilté. Je m'en souviens, car si je ne l'avais pas lu je l'aurais sans doute de moi même formulé: le personnage se débat de quelque chose, femme muette et sidérée. L'interêt, c'est que cette lutte se laisse tout juste deviner, sans l'applatissement de l'évidence, pourtant l'action confinée dans l'espace de cette chaise, ses stricts alentours. Dans cet espace contraint: des éclats de paniques, des éclosions empéchées, des gestes échappés, des impressions renversées, bouleversées. Ce qui ne revient à ne rien dire sans évoquer la manière dont celà s'incarne: l'interprête semble éminemment extensible, élastique à tâtons, noire gainée, danse tout en lignes, se transforme, lance des ombres, en surprises et lenteur ménage des accélérations. Entre jambes et bras qui n'en finissent pas de s'allonger, le corps disparaît, les sensations fusent et s'évadent, et bizarrement c'est drôle, souvent. C'est du moins tout ce que je vois, mis à l'aise pour voir à un point que les interruptions et transitions encore à régler-il s'agit d'un filage- ne me troublent pas. J'en déduis que la composition est aboutie et concise (pas si évident pour un premier solo), bien équilibrée avec lumière et musique. Mais il y a aussi le costume et ce chapeau trés étrange. Les accessoires s'imposent pour déterminer une temporalité...ambiguë. Ici c'est le concret qui crée l'inexpliqué, conjugué à la force d'évocation du corps, nous renvoie à réver à des multiples et possibles références auxquelles le texte ne nous a pas préparé.

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    J'ai la chance de pouvoir discuter avec Maxence et ses invités autour d'un verre et de crocodiles en gélatine. Comme je peux lui dire que j'ai aimé ce que j'ai vu, la discussion est agréable. Pour autant, ce dont Maxence parle ne ressemble pas tout à fait au spectacle auquel j'ai pensé assister. Jérome, en bon classique, a reconnu des dieux et déesses antiques, aussi et malgré cela des images d'élégantes des années 20. Moi-même, j'évoque des références à l'esthétique publicitaire de la fin du XX°. Mais ce que l'auteur redit de son solo: des expressions sous-jacentes d'angoisses, de morts et de décomposition... je me trouve plus à l'aise pour qualifier ainsi son travail d'interprète dans les pieces d'Isabelle Esposito, qui d'ailleurs est présente durant cette discussion! Tout est pour le mieux: la piéce commence à vivre et échapper à tout le monde (à la créatrice en premier). Je reverrai, bientôt, Les Bois de L'Ombre, pour surement y revoir du nouveau.

    C'était une étape de travail des Bois de l'Ombre, de et par Maxence Rey, avec Cyril Leclerc (lumière) et Vincent Brédif (création sonore), en résidence à Mains d'Oeuvres. La piéce sera présentée aux professionnels le 25 septembre, dans le cadre des plateaux de la Biennale de Danse du Val de Marne.

    Guy

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    photo de Jérome Delatour- Images de danse