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  • Scapin sans pitié

    Le théâtre contemporain n'a peut être pas eu grand chose à inventer, question noirceur, violence et férocité. C'est ce à quoi l'on songe devant le spectacle de Scapin qui roue de coups de bâton un vieillard enfermé dans un sac. Les enfants rient, n'ayant pas pris la mesure de la barbarie de la scène. Et ont ils vraiment tout compris de l'intrigue? C'est loin d'être sûr, tant tout est mené tambour battant, par un Scapin surexcité, franchement inquiétant. Avec l'allure d'un affairiste qui aurait un peu trop tiré sur la coke. Pourtant pas d'anachronismes bon marché, tout est joué d'époque et en costumes, avec toute la belle énergie du théâtre de tréteaux. Rien n'est sacrifié de la langue de Molière(1622-1673), archaismes compris.

    Car c'est d'une actualité plus insidieuse. Rien n'a changé sous le soleil. Les vieux ont l'argent et restent assis dessus. Et voudraient en prime être respectés. Leurs fils pourraient chanter le Young Man's bluesde Moses Allison popularisé par "The Who": you know nowadays, It's the old man, He's got all the money. And a young man ain't got nothin' in the world these days, I said nothing. Scapin lui ne se plaint pas, il ne chante pas: il agit. Il pense, il intrigue. Mi voyou mi jeune-loup, avec la tchache d'un agent immobilier surdoué et sans scrupule, qui voudrait gagner assez d'argent et assez vite pour prendre sa retraite à trente ans. Quand on a rien, tous les moyens sont bons. Les intrigues amoureuses des jeunes premiers un peu ternes, contrariés par les desseins des pères qui par dessus tout entendent posséder et contrôler la vie des autres, passent au second plan. Tout est concentré en ce combat à mort, d'une virtuosité verbale sans égal, entre Scapin (Arnaud Denis) et les deux vieillards (Jean Pierre Leroux et Bernard Métraux), plus vieillards que nature. C'est méchant, virtuose et bien mené. Si drôle et hargneux, que la réconciliation finale ne peut tromper personne.

    C'étaient Les Fourberies de Scapin de Molière, mis en scène par Arnaud Denis, au Théatre 13.

    Guy

  • Moeno oiseau, corde, pilier

    L'aube du cinquième jour se lève à l'identique sur cette scène, la veille abandonnée au crépuscule. De dos une femme est assise sur la même pierre de craie. Sur la courbe du dos nu s'écoule le noir de l'encre à nouveau, goutte après goutte. Inscription d'un sens mystérieux, ou souillure, l'encre marque en tous cas le prélude muet à une nouvelle métamorphose. Un lent déploiement d'ailes invisibles, qui nous emmène très loin de l'humanité, mais prés de l'émotion à s'y brûler, qui fait basculer la forme en un constant déséquilibre. En suspension démesurée à un fil, la marche est impossible. L'image s'impose de l'albatros de Baudelaire.

    La sixième soirée commence comme endormie encore, les fenêtres grandes ouvertes laissent rentrer comme un souffle de fraîcheur les rumeurs du dehors d'après la pluie: chants d'oiseaux, cri d'enfants, conversations assourdies, échos de chansons perdues. La danseuse, à la robe ample, est ailleurs, et humaine à nouveau, différente plus que jamais. Les gestes sont inédits, surprenants, d'une violence peut-être plus exprimée: sauter contre un pilier à s'en meurtrir, s'y enrouler, s'en servir comme appui pour s'imposer d'incroyables retournements.  

    Septième départ, en robe noire et une corde est tirée. Des gages d'humanités. Le même chemin est parcouru, qui se rompts toujours au départ par une chute, mais jamais dans les mêmes pas. On est très loin ce soir des performances du début, épuisées d'elles-mêmes, disparues dans un don éphémère. Le corps s'étire moins, renonce à la rupture, regardant vers lui-même. La danse se fait moins physique, plus sobre, tendant un peu plus vers le jeu et le mime.

    C'était "Ailes d'os d'un oiseau de compassion", "Ce qui est brisé garde le silence entre ombre et lumière", "Une ombre accrochée sur un ongle ensoleillé", par Moeno Wakamatsu, 5°,6° et 7° chapitres du cycle "Obscurité de Verre".

    Le 8° et dernier chapitre: Un corps agonisant atteint à peine un chant, c'est mercredi prochain à la Fond'action Boris Vian

    Guy

  • Eleonore Didier: service minimum

    Elle n'a peur de rien et déjà pas d'étirer son solo pas loin de deux heures, et devant si peu d'yeux. Peur de rien; on lit qu'en résidence ici durant un an elle a dansé chaque semaine pour un spectateur seulement. 639f8287cb21d879f422e48938865312.gifConcept radical, à l'évidence intimidant. On regrette de ne pas avoir postulé alors, mais le lundi matin ça n'est pas un horaire. Elle n'a non plus pas peur d'être, plutôt que de faire, de nous laisser seuls remplir le vide de pensées, plutôt que de montrer le plein. On ne peut d'ailleurs plus ici parler de danse, plutôt d'un exposé d'états de corps. A prendre ou à laisser, en deux parties bien contrastées.

    Au début le sujet gît au sol, noyée dans une doudoune d'une couleur douteuse, tête sous la capuche et visage bouffé par les cheveux. En état d'apathie extrême. Ça traîne par terre, ça remue de l'orteil juste alors qu'on commence à désespérer. Une quasi immobilité, de l'intérieur inerte, rien à voir avec l'énergie contenue d'une danseuse de buto. Encéphalogramme plat. Quand même, une jambe bouge et l'autre, et à quoi bon au fond? Retombe. Sans qu'on ait vu très bien comment, elle a rampé presque d'un mètre. S'est retournée sur le dos, se tord vaguement, un doigt agité. C'est qu'elle a manifestement du mal à exister. Est ce par peur, amnésie, doute, lassitude? En tous cas on s'y fait, on s'intéresse. On baille un peu mais on reste. Ou cette passivité apparente est elle l'effet d'une volonté? Peut-être la danseuse résiste-t-elle placidement contre la tentation du mouvement, peut-être lutte-t-elle obstinément contre le temps qui passe et l'impatience. Étrange: elle finit par gagner et nous gagner dans le même temps, elle remporte la première manche dans combat de la non-urgence. Dans cette quête léthargique, l'égarée perd en route pompes et jean. C'est l'effeuillage le plus long et mou de l'histoire de la danse, durablement stabilisé à l'étape doudoune et petite culotte bleue. Les jambes nues dessinent en bas un commencement d'animation, une personnalité s'esquisse, qui lutte contre l'anonymat que fait peser encore sur le haut du corps la doudoune informe. Elle s'agite presque, puis pour de bon, puis plus franchement encore, et on identifie jusqu'à ne plus pouvoir les nier les mouvements subis d'un coit rude et essoufflé, impulsés par un partenaire imaginaire. Après, en récupération, cinq bonnes minutes d'immobilité complète. Rien. Vide. Silence. Blanc. Les sept spectateurs sont disséminés le long de deux des cotés de la salle, aussi visibles que celle au milieu, et qui ne bouge plus. Ceux qui la regardent semblent un peu plus nerveux qu'elle, sans qu'ils n'osent s'interroger du regard pour autant. L'un consulte quand même furtivement sa montre au poignet. Fausse alerte, la performance n'est pas finie: la performeuse a bougé. Se hisse sur une marche d'une fesse hésitante, en glisse et retombe lourdement, inerte. Une heure presque est passé et si on est resté jusqu'à travers ces cinq dernières minutes, on a renoncé à tout. Désormais la danseuse peut parfaire sa victoire en prenant possession de l'espace entier, venant nous frôler les uns et les autres, ainsi les uns après les autres à la somnolence arrachés. Elle est tout à fait réveillée, et réussit le passage au vertical. Maintenant s'ouvre la possibilité du mouvement: hop, et les pieds aux murs, incroyablement spectaculaire et acrobatique par rapport à tout ce qui a précédé. Exploration de l'espace disponible: il y a-t-il une vie possible entre le mur et les cloisons en placo? Disparition dans d'impossibles interstices.

    Réapparition et rupture de ton: la seconde partie partie se dénude franchement et sans manières, face aux fenêtres grandes ouvertes sur le canal Saint Martin, dans la chaleur nonchalente de cette fin d'aprés-midi de juin. Peur de rien décidément, sauf qu'il n'y ne reste en fin de compte ici pas plus de provocation que de pudeur. C'est juste qu'à ce moment elle "est" enfin pour de bon. Libérée de la doudoune et de la culotte bleue, occupée à se définir elle-même. A trouver sa place dans cet espace flou. Un lieu brut et nu, sans espaces nets ni décors, tout de récupération industrielle, où chaque spectateur s'est installé au hasard en rentrant. Un lieu qui mérite bien son nom de Point Ephémère. Eleonore Didier est très occupée, à deux pas d'elle on se sent à peine exister. Devant sept spectateurs, ou un seul, ou aucun, ou juste face aux fenêtres devant toute la berge opposée du canal Saint Martin, son entreprise resterait sans doute la même: seule et affairée, s'examiner imaginaire (s'examiner l'imaginaire? ) à travers la visée d'un appareil photo sur pied, déclencher le retardateur et venir devant l'objectif poser, plaquée contre le mur, sérieuse et laborieuse, dans diverses positions convenues, ou alors beaucoup moins. En tension, plaquée, ou renversée, vers les limites, sang à la tête, l'équilibre forcé. Jusqu'à, à nouveau, essayer de se couler dans les angles perdus du mur, la chair contre le grain du béton. Le naturel forcé. Impasse et peine perdue. La séance photos abandonnée on passe à l'évocation d'un musée vivant, une promenade figée en postures empruntées à la statuaire antique. Comme la recherche d'autant images idéales et rêvées.

    Enfin se répète deux, trois fois un dérisoire épilogue, à nouveau en doudoune mais toujours sans culotte bleue, à poser ci et là une échelle dans les axes successifs de nos points de vue de chacun, et s'y percher pour des acrobaties pendues, lasses et un peu crues. A l'avidité du regard presque un pied de nez.

    Puis E.D se rhabille enfin, prenant son temps jusqu'au bout, de la capuche aux chaussures. Sans marquer la fin, sans solliciter d'applaudissements. S'en va et ne revient plus. Pour une absence tout aussi existentielle que ses présences d'avant.

    Paris Possible? Paris tenu.

    C'était Eléonore Didier pour la création de Paris, possible , à Point Ephémère.

    C'est gratuit et ça recommence au même endroit, mardi prochain le 26 juin, à 19h ou à peu prés.

    Guy

  • Alexandra Bachzetsis mange des chips

    Une puis deux puis trois potiches qui mangent des chips, plantées face au public. Faute de mieux on scrute très attentivement le très peu qui est donné à regarder: micro-gestes et minimales mimiques, mouvements des sourcils et du poignet, comme autant de messages sociaux ordinaires et insignifiants, autant d'attitudes situées quelque part entre une effronterie gamine et une insouciance un peu idiote. Cela dure et pourrait- pourquoi pas- durer encore plus longtemps, c'est peut -être pourtant la séquence la plus significative de la performance: un exposé -catalogue de stéréotypes féminins, inscrits dans les gestes les plus infimes.

    On passe après très logiquement à l'audition des futures stars. La déclinaison des clichés devient plus choc et chic. Postures rocks et micro empoignés dans le vent, poses aguicheuses. Le désir est si manifestement mimé, version clip publicitaire, qu'il est clair que c'est la représentation qui est jouée, sans épaisseur aucune, et plus rien du tout de la chose en elle-même. On continue impeccablement dans la même veine cynique, par un sage effeuillage dansé, avec de jolis effets de noir et de lumière tels ceux que les usines d'érotisme pour cars de touristes ont depuis longtemps épuisés.

    Tout cela est bien vu mais bien vain. On touche vite aux limites du projet, que l'humour et la connivence ne suffisent pas à sauver. A vouloir représenter les codes sans prendre de distance, on ne construit plus de différence entre le stéréotype et sa représentation artistique. Sur un thème voisin, avec Beauté Plastique, Ferron et Unger réussissaient une vrai création, le trouble en plus. Ici veut-on nous amener à réfléchir sur des sujets qui nous paraissent déjà tout réfléchis? Nous conforter dans la résolution de ne jamais regarder la télévision, en nous montrant déclinés sur scène les mêmes clichés que sur écran, perdus quelque part entre premier et second degré? Ou est-ce pour démontrer que l'on peut nous transformer en misogyne en 40 minutes?

    C'était A.C.T. d'Alexandra Bachzetsis, avec Alexandra Bachzetsis, Lies Vanborm et Tina Bleuler, au Centre Culturel Suisse.

    Guy

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  • Lear, simplement

    Noir et bruits blancs. Le décor est posé. Ou plutôt il roule, monumental, d'un coté à l'autre de la scène, poussé par un corpulent sisyphe. Une cage de bois et de fer et dedans les personnages enfermés. Tout est annoncé: l'errance et la folie qui emprisonne l'être en lui-même. C'est 38096198c1d7ba62961915791699ea1f.jpgdès cet instant presque gagné. Confirmation quand survient- comme toujours quand Shakespeare (1564-1616) est joué pour de vrai- un moment précieux où l'on se perd, gagné par la démesure du texte: ce soir de lents moments égarés sur la lande en compagnie d'un fou et un vieillard aux orbites vides.

    Le Roi Lear est là, dans un rêve de sang et de larmes, que ne peuvent apaiser que la mort et l'oubli. La pitié n'y peut rien. Le jeu est noir et ardent, exagéré comme il se doit. Même si les frontières du superflu sont parfois frôlées d'un sein ou deux, l'essentiel est que l'espace shakespearien s'impose ici bel et bien, entre la fragilité des corps et le tonnerre des voix.  

    La troupe de ce Roi Lear est enrichie par la présence d'acteurs handicapés mentaux, d'un professionnalisme aussi irréprochable que celui de leurs partenaires, si l'on pouvait en douter. Mais l'important est que ces acteurs, de par leur manière d'être si singulière, de par leur jeu si particulier, font naître sur scène quelque chose de précieusement différent, qui nous entraîne au coeur du texte de Shakespeare. Comme guidés par des passeurs de génie. Ce soir le théatre est le lieu qui nous permet d'accéder à notre propre humanité, par la grace de ce que l'autre offre de lui-même, si semblable et si singulier à la fois.

    C'était Le Roi Lear de William Shakespeare, adapté par J.M. Rabeux et Sylvie Reteuna, mis en scène par Sylvie Reteuna au Théatre du Chaudron, avec le  collectif Trans.

    C'est jusqu'au 7 juillet.

    Guy

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  • Maki Watanabe: catch à trois

    Qui donc les a shootées ce soir à l'adrénaline? Heureusement vite oubliées, les trois minutes de mauvaise poésie assénées en présentation, dés que des forces élementaires se déchaînent. Concentrées en un lieu qui évoque la cave de Bertin Poiré, mais en encore plus petit. On est pas rassuré, spectateur plaqué contre le mur, à la merci d'un coup de griffe perdu. Se faire invisible, respiration retenue, sentir le souffle et les mouvements de ces deux félines- Maki Watanabe et sa partenaire anonyme- qui s'observent en embuscade, se pâment, se reniflent, bondissent, se renversent, grimacent, s'embrassent ou se tirent par les cheveux. Telles deux catcheuses tirées des origines pour un ballet primitif qui n'auraient même pas à oublier les premières règles du combat. Pour impulser chocs et sauts: la batterie et les exclamations de Makoto Sato, un grondement retenu et des éclats imprévisibles. Au total, de part et d'autre une demonstration de furieuse énergie et d'inconvenance absolue.

    On reprend son souffle, quand Hugues Vincent accompagne Chia Yin Ling. C'est un judiceux contrepoint à ce qui précédait, narquois, contemporain, aventureux, intelligent et sophistiqué.

    C'était, le 5 juin dernier, Maki Watanabe et Makoto Sato, suivis de Hugues Vincent et Chia Yin Ling, à l'Atelier Tampon. 

    Guy 

  • Mana Hashimoto: entre le ciel et l'enfer

    C'est un étrange parcours, patient, sinueux, que la danseuse dessine à pas mesurés, et conclut en quasi apesanteur. En a58d1c18aab2b672bb84fa381b5bddd0.jpgdessous, au dessus, autour, par basculements gracieux, d'un étrange hamac en équilibre entre ciel et terre. Une juste place enfin trouvée. Lenteur et sérénité. La suspension devient rêverie, sublimée par les jeux de lumières. Une fois redescendue sur scène, la danseuse revient vers nous au plus près et au plus simple. Tout pathos ici est absent, un temps pour la sérénité, cette danse nous apaise, son calme est contagieux.

    Il faut évoquer la cécité de Mana Hashimoto. Non pour verser dans le sensationnalisme. Encore moins pour solliciter de la complaisance. Mais pour souligner combien cette particularité transforme le rapport attentif qui se tisse, le temps de la performance, entre elle l'artiste et nous les spectateurs. D'une qualité très particulière.

    C'était "Sous un ciel variable à la poursuite du fil d'Ariane" de et avec Mana Hashimoto, invitée par Moeno Wakamatsu à la Fond'action Boris Vian.

    Guy

  • 4.48 Psychose: Sarah Kane assassinée

    Deux ou trois très longues minutes pour à peine commencer, à regarder les spectateurs d'en face, faute que le regard ne veuille vraiment se fixer sur les acteurs plantés au milieu de la scène. C'est déjà le temps de laisser un fantôme rôder. Celui de Sarah Kane (1971-1999), accompagné par l'écho obsédant de la même pièce: 4.48 Psychose, vue dans le même lieu, il y a un an ou deux. La pièce était alors mise en scène par Bruno Boussagol et c'était l'une des plus belles choses qu'on ai vues au théâtre.

    Mais ce soir hélas tout embarrasse: raideur et récitation monocorde. Le refus des conventions scéniques, de toute incarnation, tourne court faute d'intention convaincante. De la radicalité éventée. Le texte de Sarah Kane est ce soir découpé en morceaux entre trois récitants. Blanc, atone, sans enjeu, désincarné. Alors qu'on se souvient du souffle de l'actrice qui il y a un an expulsait d'elle ce texte comme un râle de souffrance, jusqu'au déchirement. Un ultime appel à l'aide que la logique psychotique d'avance mine.

    Ce soir des déplacements sans rimes ni raison. Au tout prendre le plus intense: les ampoules, qui s'allument et s'éteignent, comme des eclipses de la conscience. Alors que l'on ne peut oublier la vision de Nouche JOUGLET-MARCUS dos allongée sur une table pour y jouer quand même, et une heure durant. Avant la mort, le renoncement au mouvement. C'était un postulat de mise en scène d'une rare audace, mais terriblement pertinent, l'exposition clinique d'une chair pitoyable que l'esprit déja abandonnait.

    Ce soir la pièce s'anime vaguement sur la fin. C'est un injurieux contresens alors qu'est évoqué le suicide du personnage, et celui de l'auteur. Alors qu'on est encore gagné par le frisson qui il y a un an agitait le corps à l'abandon, après un dernier passage par le noir, avant le basculement dans les ténèbres.

    C'était 4.48 Psychose de Sarah Kane, ce soir mis en scène par Jean Antoine Marciel - Compagnie Oghma, au Lavoir Moderne Parisien.

    Guy

  • Flavia Ghisalberti: une lune dans le caniveau

    Un clochard qui d'un coup s'effrondre, c'est de la danse contemporaine, dixit Thierry Bäe.

    Mise en application, mais un peu trop appliquée: elle et lui titubent à deux en talons-aiguilles, bas déchirés et imper ramasse-poussière. Coule sur la peau la vinasse en gros ruisseaux, goulot forcé entre les dents- geste galant version amour vache?- gigle la chair de l'orange, entre sueur et salive, avant de choir hagard et torturé à poils ou à peu près

    Etc, etc.. dans le genre premier degré, sans surprendre ni transporter, on tue l'évocation à force de coller à la représentation. Sans surprendre ni transporter. On se recule un peu pour éviter les éclaboussures- Maman nous a dit il y a longtemps qu'il ne faut jamais jouer avec la nourriture. On rentre chez soi, et on ouvre plutôt Conte d'Asphalte, d'Anne Calife.

    C'étaient Flavia GHISALBERTI et Grigory GLAZUNOV dans ZERO, invités par Moeno Wakamatsuà la Fond'action Boris Vian.

    Guy 

  • Moeno Wakamatsu: eau, baton, pierre blanche

    Pour installer cette Obscurité de Verre, au premier actes'imposait une remise à zéro, intemporelle, dépouillée à l'essentiel. Oubli et table rase. Au second épisode: une renaissance- Eau nue- la nudité se trouble d'une mince brume de tissu. La vie commence- cela ne peut être un hasard- par une lente immersion dans ce lac d'un calme de 3ce50685dbec46d2f979aac53c4d31e8.jpgmort au fond de la scène, alors que l'accordéon joue le vent. Après l'évocation de l'origine du monde d'une soudaine violence, la robe devient lourde et mouillée, pèse sur le corps et l'existence. Agitée par les soubresaults du dialogue furieux entre les décharges sonores émises par Claude Parle, et la danse de Moeno.

    Au troisième acte, c'est un véritable personnage qui apparaît, un Voyageur habillé d'une robe de temps oubliés, appuyé sur son bâton. Mais nulle joliesse n'est possible ici, la danse échappe au linéaire de la narration, de même que Ninh Lê Quanfait vibrer ses percussions au rebours des productions de rythmes attendus, pour faire surgir par frottements ondes et climats. La robe tombe bientôt de l'effet du chaos intérieur des mouvements. Brûle comme braise une présence charnelle et acharnée, irréductible, démembrant sa forme première en un inhumain mouvement de réversibilité, finissant par s'échapper à elle même en tension du regard vers le haut, juste retenue de l'envol par les extrémités au sol.

    Le quatrième jour, naît une fleur de lotus,qui s'extrait de ses pétales en déchirements. Cette forme voilée de transparence blanche vient se meurtrir contre la pierre, ose y rechercher assise un impossible apaisement, dans l'équilibre de la douleur. Mais la blancheur est bientôt maculée d'encre, qui tombe goutte après goutte, altérant tout rêve d'innocence et de pureté.

    C'était Moeno Wakamatsu dansant le cycle Obscurité de verre: Eau Nue avec Claude Parle, Voyageur avec Ninh Lê Quan, et Soleil de Lotus, à la Fond'action Boris Vian.

    Guy

    Photo: Jacques Sadoun