Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : Point Ephémère

  • 102 bougies pour le buto

    Dans deux ou trois semaines, tout le Paris qui ecrit parlera buto. Pour la simple raison que Boris Chamatz présentera au Théatre de la Ville , avec Jeanne Balibar, La danseuse Malade  , pièce inspirée par des écrits d' Hijikata.

     

    2289916304_460132b4e8_o.jpg

     

    Prenons de l'avance. Pour se vacciner contre toutes les variations hasardeuses autour d'Hiroshima, et fêter les 102 ans demain lundi du vétéran Kazuo Ohno, quelques lignes de notre ami Claude Parle à propos de ce qui se passe ici et maintenant:

     

    Samedi et dimanche, deux présentations de travail à la Fond’action Boris Vian, Cité Véron dont on peut dire qu'elles augurent de ce qui pourrait être un "post-Buto" ...

     

    Joan Laage est tout à fait surprenante et fonde sa pièce sur une opposition de personnages …

    On voyage comme à la poursuite du « Hollandais Volant » pour atterrir, un peu brutalement avec une ombre féminine qui s’enlise pour se diluer dans l’espace …Musique étrange …Vivaldi à l’accordéon, puis évolutions électro minimalistes pour finir avec un chant particulièrement prégnant …puis tout à la fin l’accordéon… back to the future ? …

     

    Masaki, impressionnant, comme toujours, traîne avec lui la carcasse ravagée d’un mendiant boiteux dont un bras ne fonctionne pas …Les démons surgissent à foison de ce corps ruiné, l’agitant des spasmes de leurs infernales possessions. La musique … entrelacs de grillons et de sons déformés de la Symphonie N° 3  d’Arvo Pärt… Un monde en cours d’enfouissage ? ou déjà englouti ? toujours aussi étonnant …

     

    Quant à Moeno, elle a présenté deux pièces fort différentes …

    La première, en silence, toute en tension pointe en un effort incessant et désespéré le corps, comme inerte vers un semblant d’incarnation … Mais la durée de la pièce ne permet d’augurer d’aucune vie concevable …La danse est magnifique ! …

    La seconde, accompagnée par Claude Parle, autorise, par la musique, l’irruption du corps comme volonté de mouvement … A un stade de la performance, Moeno à contre jour de la fenêtre, semble mue par la poussée d’Archimède d’une musique tissée de micro tonalités évoluant vers les accords et vers l’aigu comme un arbre qui tombe, prouvant par là qu’une musique même médiocre (1) peut porter le danseur à une certaine force d’évidence lorsqu’elle agit à bon escient ! …

     

    Sur quels axes en effet tourne ce buto contemporain qui ne cesse de s'actualiser ?

    D'abord autour d'une évidente volonté de représentation et d'un argumentaire, qu'il soit narratif ou purement suggestif

    Ensuite l'utilisation d'un espace structuré comme un dévoilement de la construction narrative-représentative

    Le fonctionnement, l'utilisation de la musique comme élément

    L'utilisation du corps comme matériau, comme matière.

    On connaît bien le travail de Sankai Juku qui utilise la scène comme un espace de représentation avec une trame qui si elle n'est pas à proprement parler narrative donne au moins le sentiment d'une évolution historique de la pièce. Mais les principes esthétiques et scéniques en font un travail qui est plus proche du ballet (voire même ballet classique) que de la volonté de déstructuration de l'espace propre au Buto.

    D'autres formes s'apparentent plus au théâtre dansé ( Ariadone,  années 70 ; Yumiko Yoshioka à Berlin )

    D'autres encore (Atsushi Takenutchi) renouent avec une forme invocante du sacré

     

    La musique, comme élément au sens où il s’agit d’une action sur la matière même de l’espace (et du temps)

    Généralement les danseurs utilisent de petits sons ou bien des sons déformés, plutôt qu’une musique « de scène » ce qui, avec le silence comme élément de tension contribue à tisser avec l’espace de représentation un univers projectif spécifique.

     

    Le corps, comme matériau plutôt que moyen est une grande caractéristique de ce Buto contemporain …

    Masaki est un très bon exemple de ce type de fonction … Maki Watanabe parfois…

    Difficile en peu de mots de cerner cet aspect. C’est un corps de transformation mais au sens du déroulement de la pièce. Support des paysages intérieurs mais direct, sans artifice …Kazuo Ono insistait tout particulièrement sur l’interdépendance des êtres, des éléments, Akira Kasai avait un rapport tout à fait original sur ce point …

    Tous ces gens sont la force d’un buto contemporain qui à force de chercher ce qu’il devait être a fini par déboucher sur ce qu’il est maintenant…

    A suivre …

     

    Claude Parle

     

    (1) Ce qui prouve que Claude, musicien et performeur tous terrains, est également d'une irréprochable modestie...

     

    Guy

     

    A voir aussi un regard plus extérieur ici.

     

    A voir lundi 3 novembre Hijikata à la cinémathèque de Paris

     

    photo de Moeno Wakamatsu par Jerome Delatour (Images de Danse) avec son aimable autorisation, prise lors d'une performance antérieure dans le même lieu.

     

    PS. Le jeu du jour: trouver Claude et Guy, cachés dans cette vidéo de Moeno d'octobre 2006

     

  • Looking for Paco: episode 6

    Regards sur la création de « Fresque, femmes regardant à gauche » par Paco Dècina et la compagnie Post-Retroguardia.

     

    Episode 6: A la seconde prés... 

     

     

    « Combien ? Bon, tu en mets 8 secondes de plus...non plutôt 10 secondes ! » Surprise: c’est bien Paco qui parle chiffres, avec une précision insoupçonnée, son horloge interne mise au diapason de mesures objectives du temps. On est très loin de ce que je voyais lors des répétitions au studio Blanca Li: mouvements et exclamations, zéro papier. Ces deux semaines, les dernières avant la première de Fresque, sont consacrées à faire coïncider la danse avec les créations de Laurent Scheegans à la lumière, Serge Meyer à la scénographie vidéo, Frédéric Malle à la musique.

    3200321740_fb4bbf078e_b.jpg

     

     

    Tous trois manipulent leurs consoles aux dizaines de boutons et curseurs lumineux, pianotent sur leurs ordinateurs portables, toutes ces machines peu sensibles à la poésie et l’intuition. Ils leur traduisent donc, en langage numérique, les intentions de Paco. Programment, collent, synchronisent, rallongent, raccourcissent, diluent, interrompent, soulignent, truquent, règlent, à la seconde prêt. A la main crayons et papier. Dans l’obscurité de la salle Frédéric porte au front une lumière, comme un mineur de fond. Ils répètent avec les interprêtes, et il semble toujours y avoir pour l’œil et l’oreille de Paco quelques secondes de décalage entre danse, et la lumière ou la musique. Quelques secondes qui font qu’il faut commencer. Paco frappe dans les mains et, avec une gentillesse obstinée, fait reprendre tout le monde du début. Chaque fois donc tous recommencent, modifient leurs réglages in extremis avant de recommencer la séquence, avec une patience tout autant inentamée.

     

    Et essaient de repousser les limites de la technique. Vincent danse avec une belle ombre blanche, un effet mis au point par Serge, grâce à un logiciel créé tout exprès…pour suivre une seule silhouette. Inévitablement, Paco tente de détourner le système jusqu’à l’accident créatif. Il envoie cinq danseurs bouger ensemble dans le champ des capteurs, histoire de voir ce qu’il en sort…L’ombre peine à suivre, le logiciel proteste en laissant l'image trembler. La lumière, la vidéo, la musique, me semblent ce soir omniprésentes. Habitué que je suis maintenant à voir les danseurs répéter seuls, sans filtres ni effets. Il y a au mur et au sol les reflets de l'eau dans la lune, et non l'inverse. On entend ce que Paco appelle le « do-do »: une respiration qui n’est d’autre, renseignements pris, que celle de l’un de ses enfants endormi. Catherine Montaldi me raconte qu’un jour Frédéric serait sorti avec magnétophone et micro « pour enregistrer le silence ». Frederic me confirme toute la liberté qu’il a eu, à l’instar des danseurs, pour intégrer ses idées et créations à la pièce. Le passage avec les voix, celui là même qui posait un peu problème lors du premier filage que j’avais vu, a survécu, avec quelques modifications.

    Pour autant, tout ce qui est strictement danse n’est pas figé encore: Paco descend parfois des rangs en courant pour interrompre une séquence, rectifier un mouvement en le dansant lui-même, faire avancer ou reculer un danseur de quelques centimètres. Avec une complication supplémentaire: il n’y a que six danseurs sur sept aujourd’hui. Dimanche ou lundi, un individu, dans la rue a eu la mauvaise idée d'agresser Orin, envoyé à l'hôpital pour le coup. Orin a du renoncer à sa participation au festival Faits d’hiver. La danse de Paco semble toujours hors du temps, mais sa création ne se fait pas hors du monde. Les répétitions continuent donc cette première semaine de janvier, avec un peu d’inquiétude, en attendant le retour d’Orin. Dans notre feuilleton de Fresque, on se serait bien passé de cet épisode là…

     

    3199429659_1a1692efd4[1].jpg

    A la pause Jérôme va montrer à Paco la photo de la fresque entière de Pompéi, image qu’il a retrouvée Dieu sait comment. La triste vérité est la suivante: les trois femmes au regard si mystérieux contemplent …un Hercule allongé et ivre mort. La légende de la photo est formelle. Paco, toujours souriant et affable fait semblant trente secondes de s’intéresser de s'intéresser à l’affaire, puis en revient à la danse. Sage attitude: après tout cette belle image n’était que le point de départ de la création, elle est derrière nous maintenant. Je regarde Hercule à terre et je repense à Orin, absent. Puis j’oublie l’image réelle dévoilée par Jérome, préfère définitivement celle construit dans mon imaginaire, hors champs. Pendant tout ce temps Marion, quelques bureaux plus haut, s’affaire et compte les réservations, vigilante, confiante cependant.

     

    Le samedi revient Orin, en un seul morceau. Il reprend sa place en douceur. Les réglages se poursuivent, à 7 + 3 + 1. Quelques étudiantes en dessin viennent s’installer sagement accompagnées par Catherine. Plus tard je monte ouvrir dans le hall à deux amies de Paco qui se sont annoncées. Arrive sur leurs talons une classe de lycéens, plus accompagnateurs, tous assez intimidés, une classe entière dont on aurait juste fait disparaître les garçons. Et d’autres personnes encore, qui vont s'assoir dans l'obscurité, qui peut-être avaient froid dehors. Nous ne sommes décidément pas dans une tour d’ivoire, mais Paco et tous restent concentrés et imperturbables.

     

    Un filage commence, sans costume encore, je suis stupéfié par le rythme des premières minutes, révées, sans presque rien pouvoir reconnaître des gestes vus les mois d’avant…mais je dois partir!

    A la sortie dans le hall un garçon de 11 ans, qui a suivi sagement et yeux grand ouverts deux heures de répétitions, décide sans appel de devenir danseur.

     

    Guy Degeorges

      

    Photo de Jerôme Delatour, les autres sont sur Images de danse.

    Merci à Paco Dècina et à la compagnie Post-Retroguardia, et au T.C.I..

     

    Le prochain épisode est diffusé ici, bientôt...

    En attendant, lire le prologue, l'épisode 1, l'épisode 2, l'épisode 3, l'épisode 4, l'épisode 5, episode 7 , les bonus...

     

    P.S. Et spécialement pour les lecteurs de ce journal, et les admirateurs des photos de Jérome, le T.C.I. propose d'assister, pour un tarif à 8€50 (1) à la représentation de Fresque du 26 janvier, qui sera suivie d'une rencontre avec Paco Décina, et l'équipe artistique.

    Reservations au théatre 01 43 13 50 50, mot de passe "Blog". 

     

  • Phèdre échauffée

    Mr Sarkosy, jusqu'à récemment, avait comme conseiller Mr BenamouNéron, il y a 20 siècles, avait Sénèque. Quand Néron signifiât sa disgrâce au philosophe, ce dernier se retira dans sa villa romaine, mais pour se donner la mort en se tranchant les veines. On ne souhaite pas un sort aussi extrème à Mr Benamou (qui semble avoir déja assez d'ennemis comme ça). Mais l'évenement illustre à quel point les temps ont 379373541.jpgchangé, et que les intellectuels ont perdu beaucoup de leur sérieux. Heureusement, avant de trépasser, le philosophe a eu le temps de nous transmettre, entre bien d'autres choses, sa version de Phèdre.

    Ce texte, échauffé par une mise en scène nerveuse et abrupte, on aime le recevoir comme un brûlot. L'auteur nous ramène jusqu'à une frontière. Artistique et idéologique. Il n'est pas indifférent que la vie de Sénèque commence à la fin de l'ère antique (vers 4 avant J.C.) et s'achève au début de l'ère chrétienne (65 après J.C.). On trouve les sources de ce Phèdre dans la mythologie, et chez Eurypide ou Sophocle. Mais Sénèque porte sur les dieux et les hommes un regard plus moderne que ses prédécesseurs, d'un point de vue moins religieux, plus critique. Reste encore dans la pièce toute la force sidérante des mythes, mais déja vis à vis d'eux la distance du moraliste stoicien. Qui met en scène et sous observation l'enchaînement fatal des passions humaines. Et le texte n'est en rien pollué par du sentimentalisme ou du psychologisme: merci pour ces quelques siècles de sursis. Uniquement de l'élévation, juste de la puissance, que de la dignité, et aucune familiarité avec le spectateur, aucune complaisance. On ne s'étonne pas que cet homme ait su se couper les veines.

    Question passions-puisque leur étude fait le sujet- il y a de la matière. Phèdre est fille de Minos et de Pasiphaé, lourde hérédité! Hérédité à laquelle- le texte est explicite- on ne saurait échapper. La Reine, délaissée par Thésée,  ne jette pas comme le fit sa maman son dévolu sur un taureau ("au moins lui il savait faire l'amour"), mais sur son beau fils, Hippolyte. C'est plus fort qu'elle...(mais soyons moins sévère que Séneque: depuis Phèdre nous ne cessons nous même de perpétuer tout ce que nous avons reproché à nos parents, ou ce qu'il nous ont chargé de faire à leur place). Cette attirance pour le jeune homme est tout autant contre-nature, selon les standards de l'époque. On aurait alors mauvaise grâce à reprocher à la mise en scène de ce soir d'être excessive. Hurlements et calvacades, Phèdre part à l'assault d'Hippolytepour lui montrer d'une manière plus qu'explicite qu'elle le veut, sexuellement parlant. Voudrait-on qu'elle lui propose plutôt une tasse de thé? Qu'elle s'offre calmement? Nous ne sommes pas chez Marivaux! Thésée, à son retour des enfers, n'est pas en reste d'agitation, lamentable surhomme, possédé par l'orgueil et la colère, alors qu'il apprend les (fausses) accusations portées contre son fils par Phèdre éconduite. L'intrigue atteint un niveau d'énervement et de déraison qui place le sur-jeu et l'emphase comme une norme logique. Seul à l'écart de ces tempêtes, complice de notre regard détaché, le joli couple du choeur joue de la guitare et du micro. La scénographie est magnifique: comme ces acteurs (et seuls quatre se succèdent sur la scène) semblent petits! Ils courrent d'un bout à l'autre du plateau, perdus dans l'imaginaire du décor esquissé, écrasés par la fatalité! L'immensité du palais froid est installé par d'amples vases au sol, remplis de matières élémentaires, colonnes que les lumières prolongent vers le haut. Bien sur, tout sera saccagé, répandu, emporté par les passions et le désordre, les vases renversés. Au mur se défigure un portrait de famille. En écho de la décadence. Doit-on s'agacer de détails: décolletés et bicyclette? C'est bien peu et rien du texte, pourtant d'une rare densité, n'en est gâché ni obscurci. Ce texte de Sénèque, somptueux, parsemé de joyaux incandescents et poétiques, riche de mille thèmes: la nostalgie d'un ordre originel, les considérations morales et politiques, jusqu'à la description- très gore- de la mort d'Hippolyte poursuivi par la malédiction paternelle. La main de Neptune n'est pas guidée par la colère des Dieux, mais par la folie de l'homme, la victime est réduite à une triste bouillie humaine. L'eau tombera en déluge, funèbre, pour tout laver et emporter: ce théâtre sait aussi s'apaiser.

    C'était Phèdre ♥♥♥♥♥, de Sénèque, traduit par Florence Dupont, m.e.s par Julie Recoing, avec Thomas Blanchard, Marie Desgranges, Alexandra Castellon, Grétel Delattre, Anthony Paliotti, au Théatre Nanterre Amandiers, jusqu'au 17 avril.

    Guy

    P.S. : (de mémoire), une dernière citation du Phèdre de Sénéque, pour la route: les peuples élèvent à leurs têtes des va nus pied, les encensent, et bientôt les rejettent...

    et des images ici ...

     

  • Angelin Preljocaj: mythes et légendes

    A promettre une danse narrative, et au sujet bien défini, ne risque de décevoir des attentes trop précises? Surtout avec un thème aussi intimidant 177395499.jpgque l'Annonciation. Moment fondateur du Nouveau Testament, à la source de la nativité et de la rédemption. Fra Angelico, Filippo Lippi, Leonard de Vinci et des centaines d'autres maîtres en ont offert des représentation picturales aux richesses qui ne se laissent pas épuiser. Mais qui figent l'évènement dans le cadre de certaines conventions. Comment représenter ce thème par le mouvement? C'est bien tout le défi. Ici les fondamentaux sont respectés: les deux protagonistes- Marie et l'Ange Gabriel- sont présents, un rayon de lumière frappe Marie à la manière dont est traditionnellement représentée la parole divine sur les tableaux de la renaissance. La présence coporelle, puissante, permet la naissance de moments intenses et fulgurants. Qui vont au delà de ce qui est montré, traditionnellement. Quand il y a baiser, quand il y a enlacement, quand l'imposition des mains de l'Ange d'un coup pétrifie Marie. C'est juste parfois affadi par les effets exaspérants d'une musique tapageuse. Et d'autres passages déconcertent celui qui y recherche un sens trop précis: pourquoi les deux personnages dansent ils à l'unisson, comment est- il possible de suggérer une égalité de rôles, une symétrie entre eux? Ces perplexités empêchent d'apprécier selon ses mérites cette danse fluide, comme en apesanteur, sans grandiloquence, peut-être aurait-on préféré voir la proposition sans en connaître le titre. Et quitte à voir des annonciations retourner à Florence, aux Offices ou au couvent Saint Marco.

    En amont de la tradition chrétienne, est ensuite proposé un point de départ mythologique: les Centaures. Le thème est plus large. Plus libre? 731313247.jpgLa problématique spirituelle ne peut être spirituelle encore, on est tenté de voir ici l'émergence ambiguë d'êtres mi-homme, mi bêtes. Mais l'accent est plus mis sur les rapports entre les créatures que sur leurs combats intérieurs. Ce duo masculin, poitrines et cranes nus, évolue tout en muscles et virilité. Les contacts se transforment tout autant en étreintes qu'en chocs, les bras et jambes s'entremêlent pour redonner naissance à un seul être primitif et fusionnel, les affrontements eux-mêmes se résolvent pour laisser place à des moments d'oubli animal. Ces phases toujours soutenues par un subtil tempo, sous jacent. Le travail des jambes est admirable, ce qui est bienvenu s'agissant de centaures. Le tout aboutit à un résultat d'un beau classicisme, dont on a du mal à départager s'il est sage ou innovant.

    Avec Eldorado, on se retrouve transporté dans un dispositif à la Stonehedge. 12 monolithes, chaque danseur au départ immobile devant son bloc, qui laissera derrière lui sa silhouette lumineuse inscrite sur la pierre. Sont-ils les voyageurs d'un vaisseau 1160682842.jpgspatial antique venus peupler une planète? La musique de Stockhausen est elle même d'un futurisme un peu daté. On lit sur le programme que le compositeur a proposé sa musique à Preljocaj, qui avoue avoir hésité devant la difficulté. Doit on comprendre qu'il n'a pas osé refuser? Mais abstraction faite des périls esthétique, la partition propose de beaux défis rythmiques au chorégraphe, qui s'était aussi attaqué au Sacre du Printemps. Sur ce plan, c'est un beau sans-475066573.jpgfautes. Les danseurs enchaînent duos, trios, ensembles, avec rigueur et géométrie, on imagine que rien ne peut les arrêter dans ce crescendo, on s'attend presque à une orgie finale. C'est que le risque de trop de cunnighamisme inhérent à une construction trop formelle est tempéré par une salutaire sensualité, discrète mais qu'on ne peut nier. Le sexe est toujours là, invisible mais présent. Suggéré, comme dans les deux pièces précédentes. Tant mieux.

    C'étaient, d'Angelin Preljocaj, Annociation (1995) ♥♥♥, Centaures (1992-1998) ♥♥♥♥♥, et Eldorado (Sonntags-Abschied) ♥♥♥ sur une création musicale de Karlheinz Stockhausen, avec 12 danseurs, au Théatre de la Ville.

    jusqu'au 8 mars

    Guy

    P.S.: sur Scenes 2.0. les points de vue du Tadorne, de Danse à Montpellier et de Clochettes

    Re P.S. : voir le reportage photo, sur Photodanse

  • Le dégout

    Contribution bienvenue au blog de l'écrivain Catherine Rihoit

    La salle est pleine ce matin-là au Théâtre de la Comédie Nation. Des collégiens de Créteil, amenés par leur professeur, viennent voir le Misanthrope dans la mise en scène de Laetitia Leterrier. La troupe joue la pièce depuis trois ans et s’apprête à la donner pour la seconde fois en Avignon au Théâtre Notre Dame. Mais ce matin-là, c’est une représentation spéciale à l’intention des jeunes qui va se dérouler.

     Depuis le début de l’aventure, la jeunesse nombreuse dans l’assistance a réagi très positivement au parti pris de mise en scène, qui peut surprendre et même parfois hérisser les aficionados de Molière. En effet, le salon où chacun se pousse du col et dit du mal des autres dans le jeu futile et délétère d’affirmation sociale si insupportable pour Alceste est transformé en émission de téléréalité. S’il semble astucieux de voir là l’équivalent contemporain des salons de l’ancien régime, c’est manifestement vécu comme une évidence par la nouvelle génération, qui n’a aucune idée du monde de l’époque et s’intéresse fort peu à ces vieilles histoires, le seul fait que Molière soit au programme suffisant à le classer a priori dans la catégorie « barbant ». Et si ce n’était pas au programme, ils n’en entendraient même pas parler…

     Alors comment faire pour leur transmettre Molière ? Faut-il le mettre au goût du jour, est-ce là intelligence ou facilité ?

     

    théatre,laetitia leterrier,catherine rihoit,molière

     Les collégiens sont fort agités avant le début de la représentation et ils le sont encore au début du spectacle. Le côté « téléréalité » plaît tout de suite : ils rient beaucoup, et on se dit d’abord que ce n’est pas forcément pour les bonnes raisons. Mais au bout d’une demi-heure, un silence religieux règne. Le dilemme d’Alceste (comment vivre dans un monde qu’on trouve dégoûtant sans en être atteint au point de se dégoûter soi-même de la vie et de dégoûter les autres de soi) leur parle très évidemment, le héros hérissé comme un cactus leur est un frère.

     Le pari : comment transmettre les grands textes à un public qui n’y est pas d’emblée réceptif et les verrait sans grand regret et même avec  soulagement partir à la poubelle (soyons actuels, la culture française n’est qu’un musée…) est donc gagné, comme le montrent les applaudissements enthousiastes à la fin du spectacle.

     Quelques semaines plus tard, mon petit fils de 17 ans m’appelle pour me dire que son oral de bac français s’est bien passé. Il a eu Andromaque. Sa parole jusque-là verrouillée s’est libérée juste à temps et c’est, dit-il, parce que je l’ai emmené voir Le Misanthrope –ce Misanthrope-là. Quand à son frère un peu plus jeune, il veut faire son stage d’études au théâtre - ce théâtre-là - dans quelques mois.

     Ce que j’essaie de dire, ce n’est pas qu’il s’agit d’un Misanthrope pour ados. Mais d’autres Misanthrope se donnent ici ou là, alors pourquoi celui-ci ? Sa vertu particulière, au delà mais aussi à cause de la générosité des comédiens,  consiste en sa faculté de renouveler les spectateurs et d’amener au théâtre, quand il est temps de les y intéresser, des êtres dont le goût se forme.

     Pourquoi se donner tant de mal pour transmettre ces grands textes à ce public ? Pour qu’il ne soit pas déjà dégoûté du monde…

                                                                                                       Catherine Rihoit

    Le Misanthrope de Molière mis en scène par Laetitia Leterrier est joué au off d'Avignon du 5 au 27 juillet.

    photo par Frederic Cottel avec l'aimable autorisation de la compagnie

  • Port Royal: encore un peu d'éternité

    Toujours sur la scène du T.N.O.,encore des femmes aux cheveux cachés sous des coiffes noires. Mais cette fois vetues de robes d'un blanc immaculé, et croix rouges sur la poitrine: donc des religieuses. Les soeurs du couvent de Port Royal en 1664, qui pour continuer à vivre leur foi à leur façon rentrent en rébellion. Et seront dispersées. medium_champaigne_portrait_angelique.jpgL'affrontement montré ici nous est bien familier: celui d'Antigone contre Créon, celui de de Jeanne d'Arc contre Cauchon, de Don Alvaro contre le matérialisme de son époque, de l'idéal contre le pouvoir, de la pureté intransigeante contre le compromis et le réalisme, du spirituel contre le temporel, de la foi personnelle contre celle qu'encadre les canons.

    Mais ce soir, autour de quel enjeu? En quoi les doctrines de ces soeurs sont elles à ce point insupportables aux pouvoirs de l'époque? Il est extraordinaire que jamais tout au long de sa pièce Montherlantne nous l'explique vraiment. Les religieuses évoquent, du dedans, les menaces du dehors. Mais rien qui nous éclaire quant au jansénisme, la grace et les controverses théologiques. Rien sur les sujets dont elles devraient parler. Un pari sur la culture du spectateur de 1954? Celui de 2007 risque de se désintéresser un peu du sort de ces femmes, qui s'apprêtent à souffrir pour des motifs auxquels il ne comprend rien. En attendant, à huit nonnes qui attendent, on peut créer de très beaux effets: les habits blancs prennent la lumière superbement. Mais même si la langue est belle, pure et élevée, jusqu'à presque faire oublier les rumeurs qui grondent dehors le cloître, dans ce couvent l'éternité commence au bout d'un temps à durer un peu longtemps, surtout au milieu. 

    Une seconde pièce commence opportunement sur un nouveau rythme avec l'irruption tonitruante en ce lieu du pouvoir temporel de l'archevêque medium_champaigne_exvoto.2.jpgde Paris- Hardouin de Péréfixe (Jean Claude Sachot)-. Rouge écarlate, corpulent et volume sonore réglé à fond. L'adversaire se montre enfin, brutal ou patelin, qui empoigne littéralement les soeurs ou les embrasse avec effusion. Mais obligé d'utiliser la force faute de convaincre, réduit à perdre pour l'emporter. Et les soeurs confrontées à la question centrale de la pièce: souffrir jusqu'au martyr cette persécution est il le sublime accomplissement de leur démarche spirituelle? Ou n'est ce que folie et désobéissance, péché d'orgueil? Ou pire encore, en l'absence de Dieu, une vaine douleur. Heureusement on est chez Montherlant: on reste libre de penser et de conclure comme on le veut.

    C'est Port Royal de Montherlant, mis en scène par Jean Luc Jeener, au T.N.O.

    Guy

    Portrait de Mere Angélique et Ex votopar Philippe de Champaigne (1602-1674)

  • Clip V.2

    Bertin Poirée, retournons y et regardons y huit autres, degustation de pièces en dix minutes chacune:  

    medium_une_fleur_sans_nom.jpgKiyoko Kashiwagi & anime dance theater nous jouent Romeo the thief and Juliet the guard, ce n'est pas du Shakespeare, c'est beaucoup mieux: on vole la joconde dans un ballet à la Tex Avery ninja, mais l'amour finit par triompher, c'est hilarant.

    Difficille pour la compagnie Bon Bon/ Hanako et Yuka, avec Là ou je suis, de déja exister juste aprés ça, trop délicat, trop modeste?

    Laurence Pages nous propose un travail troublant sur le souffle; A un fil, d'une voix commande la danse, mais peut-être au risque de dérégler le corps lui même, d'une manière aussi inquiétante que Louise Bédard il y a peu à suivre en intégrale à mains d'oeuvre dans pas longtemps.

    On était un peu passé à coté de Gyohei Zaitsu l'an dernier, mais on est saisi ce soir par la force de ce que le danseur de cette Vie En Rose dégage, sur un mode trés lent et intense, en quelques gestes blancs, sous la neutralité d'un maquillage buto et l'humanité d'un costume grotesque: quelque chose de quasi miraculeux.

    Soyons honnête, sur huit performances, il y a en toujours l'une où l'attention se dissipe un peu. cela tombe ce soir sur Marlène Myrtil (Assentiment 1 chaine correspondance....) ce qui est surement injuste: à defaut d'avoir vraiment suivi, on peut témoigner que c'est trés riche, fort et maitrisé.

    D'un mardi l'autre, l' Aprés tout... de Motoko Yoda, dont l'exposé n'a pourtant surement pas varié d'un iota, nous semble plus construit, aussi intéressant, plus affirmé.

    En lieu et place d'une annoncée absente, Gyohei Zaitsu nous fait un retour surprise, bonne surprise, et même meilleure que celà: ce qu'il fait sous le même masque blanc n'a rien de commun avec ce qu'il nous a montré tout à l'heure, plus baroque, et imprévisible completement. Plus on voit ce garçon, plus il surprend.

    Conclusion par la cie Jocelyne Danchick avec Breath cycle: une femme vétue d'un antique corset orthopédique, d'emblée une image forte, mais trop sans doute, à un tel point que l'on a du mal à dépasser l'impression initiale pour s'intéresser à la danse, suspendu entre la violence de ce concept visuel et la perception du mouvement.

    Tout le monde aura compris que ce soir à Bertin Poirée il n'y avait pas que du buto, ce qui n'avait pas d'importance.

    C'était le deuxieme épisode de Version clip dans le cadre du festival Dance Box 07 dans un centre Bertin Poirée si plein qu'on ne pouvait plus y glisser même la plus fine des danseuses. La trilogie s'acheve mardi prochain.

    Guy

    Faut il noter le spectacle vivant?... s'interroge-t-on sur Scènes 2.0... En tous cas ce soir à Bertin Poirée on était invité à voter pour ses deux compagnies préférées. 

    Et qui donc avait été élue l'an dernier? Maki Watanabe, evidemment!

    P.S.: Gyohei Zaitsu a aimablement répondu à notre demande en nous envoyant cette photo plus haut. Pas de la Vie en Rose hélas, avis aux photographes: il faut immortaliser Gyohei avec son noeud rose bobon dans les cheveux! Au Proscenium les 3 et 4 avril, peut être? 

  • Something Else?

    On l'a enfin ce soir vue de nos yeux pour de vrai, l'ultimate-work-in-progress-trash-performance, celle que si elle n'existait pas il aurait fallu l'inventer, le mètre étalon de l'éternelle toute dernière tendance, à chaque génération récrée- mais toujours la même!- avec enthousiasme et urgence, le truc tel que se l'imaginent d'un air entendu les gens normaux quand on essaie de les persuader de venir voir au moins une fois dans leur vie de la danse contemporaine avec nous: tout y est en effet et jamais dans le bon ordre: surtout d'abord des temps morts qui n'en finissent pas de mourir, à bouger eux mêmes tous les deux les projecteurs, les accessoires, la sono, les instruments de musique et  tous les objets superflus, et accomplir toutes les actions inutiles de ce genre, et aussi s'acharner à des actions censées être signifiantes, mais sans d'intentions claires, ni scénario, ni progression, sauf que la fille perd sa jupe au bout de trente secondes et que l'étourdie a oublié de mettre une culotte, et si distraite qu'elle garde le haut un peu avant d'avoir trop chaud, le garçon résiste tout de même quant à lui dix bonnes minutes avant de se retrouver à poils lui aussi, après inévitablement, tout dégénère très rapidement: à part ce à quoi on s'attend- et qui évidemment se produit dans les grandes lignes et en poses démonstratives-, en plus ils crient, chantent et ânonnent- Les Idiots de Lars von Triers pourraient passer pour des surdoués à coté- dans le meilleur des cas on distingue quelques phonèmes d'un anglais soap-variété, ils font souffrir des guitares désaccordées et à usage phallique, et font souffrir nos oreilles avec du larsen, jouent beaucoup avec des adhésifs aussi, sont fascinés par les fluides, et nous font bien sentir qu'ils pourraient allez encore plus loin (encore plus bas? encore plus haut?) s'ils voulaient mais le travail est en cours encore, pour explorer au 1er et au 13° ces deux originales thématiques: everybody-is-a-fucking- rock-star et regarde-c'-est-incroyable-moi-aussi-j-ai-des-organes-génitaux, mais en tous cas on ne comprend pas soi-même pourquoi en fin de compte on a aimé, alors que c'est exactement le genre baclé qui nous crispe d'habitude, mais le fait est qu'on les aime, peut-être parcequ'eux-même n'ont pas vraiment l'air de se pendre au serieux, et sur scène ne semblent jamais être d'autres personnes qu'eux mêmes, qu'ils ont de la présence à la tonne, que tout cela irradie une honnêteté brute dans le genre destructeur et régressif, too much pour être vraiment et méchamment provocateur, et presque tendre au fond-limite romantique punk- et qu'ils s'y croient moins que "La Zampa", et qu'on les remercie pour quelques éclats de rire libérateurs, surtout au vu d'une glissade nue dans l'huile et la bière, après toutes ces semaines à voir et écrire des spectacles si sérieux, on en avait bien besoin, et puis on investit: après tout peut-être feront-ils le Théâtre de la Bastille l'an prochain.

    C'était Stand by me/mad even (travail en cours) de la Compagnie Else, à Point Éphémère, devant cinquante personnes par terre sur des coussins au début et tout de même encore vingt cinq à la fin. C'était gratuit et ça recommence demain.

    Guy

    P.S. Voir des photos sur leur site 

     

  • Des choses cachées...

    "Je dirai, puisque tu le veux, la rose. Qu'est-ce que la rose?

    Ô rose !
    Eh quoi ! Lorsque nous respirons cette odeur qui fait vivre les dieux, n'arriverons-nous qu'à ce petit cœur insubsistant qui, dès qu'on le saisit entre ses doigts, s'effeuille et fond, comme d'une chair sur elle-même toute en son propre baiser mille fois resserrée et repliée?
    Ah, je vous le dis, ce n'est point la rose! C'est son odeur, une seconde respirée qui est éternelle!
    Non le parfum de la rose ! c'est celui de toute la Chose que Dieu a faite en son été !
    Aucune rose ! mais cette parole parfaite en une circonférence ineffable
    En qui toute chose enfin pour un moment à cette heure suprême est née !"

    medium_affiche_cantate.jpgSoyons franc, un peu: passé les premiers instants on renonce à vraiment saisir le sens de ce texte de Paul Claudel (1868-1955). Tant mieux: on abdique, et bientôt on se laisse emporter au fil des mots de "La Cantate à Trois Voix", yeux grands ouverts, au gré des images que ces voix nous évoquent. On accepte tout alors, de même qu'on a accepté de descendre et se laisser guider au plus profond le long des couloirs surplombés par voutes cachées sous l'église Saint Sulpice.

    Pour entendre: "Ô paradis dans les ténèbres !
    C'est la réalité un instant pour nous qui éclôt sous ces voiles fragiles et la profonde délice à notre âme de toute chose que Dieu a faite !
    Quoi de plus mortel à exhaler pour un être périssable que l'éternelle essence et pour une seconde l'inépuisable odeur de la rose ?
    Plus une chose meurt, plus elle arrive au bout d'elle-même, Plus elle expire de ce mot qu'elle ne peut dire et de ce secret qui la tire ! Ah, qu'au milieu de l'année cet instant de l'éternité est fragile, extrême et suspendu !
    _ Et nous trois, Laeta, Fausta, Beata, n'appartenons-nous pas à ce jardin aussi, à ce moment qui est entre le printemps et l'été (...) Ah, l'important n'est pas de vivre, mais de mourir et d'être consommé !
    Et de savoir en un autre cœur ce lieu d'où le retour est perdu, aussi fragile à un touchement de la main que la rose qui s'évanouit entre les doigts! (...)
    Mais toi, mon âme, dis : Je ne suis pas née en vain et celui qui est appelé à me cueillir existe !
    Ah, qu'il reste un peu à l'écart ! je le veux, qu'il reste encore un peu de temps à l'écart !
    Puisque où serait la foi, s'il était là? où serait le temps? où le risque? où serait le désir? et comment devenir pleinement, s'il était là, une rose ?
    C'est son absence seule qui nous fait naître"

    Il fallait sans doute beaucoup d'inconscience ou de témérité à ceux d'Heautontimorouménos pour s'attaquer à ce monument. D'une poésie qui nous parait déjà si lointaine, rare, étrange, surannée, comme si le rapport au monde qu'elle induisait ici était hors de notre atteinte de bien plus que d'un siècle.

    Mener à bien ce projet, ne serait ce que techniquement, inspire déja en soi le respect. Les trois interprêtes, et si jeunes pourtant, n'en paraissent presque pas intimidées. Elles dialoguent, chantent avec chacune leur timbre propre leur part de ce long poème. Citons les: Camille Cobbi, Clémentine Marmey, Clémentine Pons.

    Leur chant d'abord importe, porté par ces trois corps, autour d'elle un espace sobre nourri d'une lumière mesurée qui laisse sa place au mystère, et le reste est une question de séduction. Entre mélancolie, amour, foi, ferveur, mysticisme, rapport à la terre, absence de l'être aimé, éternel retour des saisons, dans cette profusion de significations est fait ici le choix de la sensualité. 

    Jusqu'à mi octobre, presque tous les soirs et pour pas moins de 12 spectateurs à la fois, à la Crypte Saint Sulpice.

    Guy

  • En ébullition

    Des bulles ce soir au théatre du rond point. rediffusion du texte du 22 juillet dernier

     

    On s’y risque, et voilà. .. Allons-y, pour quelques soirs tout serait permis, dans cet espace protégé d’un été clandestin. Pour les instigateurs aussi,  une petite bulle d’impunité, pour un ballon d’essai. Pour non seulement montrer le nu féminin (ce qui n’est pas si original), mais rechercher quelque chose de plus risqué que l’érotisme, pas loin de la pornographie, fût-elle même un peu philosophique. Considérée comme le vrai sujet de la pièce et non un moyen au service d’un récit. Avec préméditation, et vite multirécidiviste, le metteur en scène fout ses cinq comédiennes à poil (on se permet aussi ici un vocabulaire plus relâché que de coutume), mais pas que…. Ou leur permet-il de se mettre à nu, et plus si affinités? Là est l’enjeu  (en partie). La question de la volonté et du lâcher prise est vite illustrée par le glissement d’un corps, inerte ou complice, qui s’abandonne mu par d’autres aux suggestions, hypnotisé par des fantasmes chuchotés et la main dans la culotte. La proposition va droit au but, avec un minimum de préliminaires. Le doigt pile sur l’ambigüité du désir et les ruses de la volonté. L’imaginaire est entrouvert- boite de pandore- pour ne plus se refermer. La drôle de leçon d’anatomie qui suit sous lumière crue (là c’est mes yeux, là c’est ma chatte, là c’est mon coude, là c’est mon téton…), ne désamorce rien. Ni en version habillée, ni en version nature. Les objets bien que nommés et montrés se ré-érotisent aussitôt à température ambiante. Ils résistent même au rire. Les interprètes n’ont pas froid aux yeux, ni  ailleurs, les mots osent et coulent, doux, moqueurs ou crus.

    Si les sens sont réchauffés par la chair douce et tiède, du recul dans la mise en scène permet à un coin de l’esprit de rester froid, analytique. De seins en fesses, la pièce suit son chemin par association d’images et frôlements d’idées. Un irrésistible séminaire universitaire freudien sur le thème de la pulsion s’enchaine ainsi par un strip-tease à un casting odieux, les filles instrumentalisées et humiliées d’une voix doucereuse, jusqu’à l’explosion. Coup de froid, interrogation lucide quant aux dérapages sur la pente de la sexploitation. Dans la grande diversité des genres qu’il explore de pièce en pièce, le travail de Laurent B. est toujours plastiquement évocateur mais de façon lisible… et il n’a pas peur de se poser les bonnes questions. Déjà lu entre les lignes du programme de salle, l’avertissement avant le début de spectacle devrait porter sur la possible culpabilité du spectateur-voyeur plutôt que sur l’éventualité d’être choqué. Entre le metteur en scène et ses belles actrices (dans tous les sens possibles), s’agit-il ce soir de la libération de fantasmes masculins, ou féminins… ou partagés? D’autres épisodes montrent beaucoup mais éludent cette question,  mais un tableau parfait et indiscret- l’évocation d’une jouissance féminine première, mythique, dévorante et irrépressible, qui emporte tout sur son passage- permet la réconciliation. Rien à rajouter.

    C’était Bad little bubble B. de laurent Bazin avec  Cécile Chatignoux, Céline Clerge, Lola Joulin, Mona Nasser, Chloé Sourbet vu à la loge dans le cadre de Summer of loge.

    Guy