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Rechercher : Point Ephémère

  • Faire part d'une agonie annoncée

    Dans le lit au centre: l'agonisante, ce lit posé dans cette chambre sombre et nue, dépouillée mais que l'on situe quand même au XIX° siècle, une époque où la mort (ainsi que la naissance) n'était pas encore sous-traitée par les familles aux hôpitaux.... LA MORT: le gros mot est prononcé, et dès le titre, sans plus de précautions. Avec Je suis morte  Isabelle Esposito poursuit avec courage ou inconscience son parcours artistique sur un chemin solitaire et escarpé. A l'accompagner on jouit pourtant de points de vue qui valent le déplacement. Mais pour cela il faut un peu oser: dans notre univers mental desacralisé, et borné par l'illusion du droit au bonheur et du risque zéro, l'obsénité artistique la plus impardonnable consiste bien à montrer la mort plutôt que le sexe. 

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    Tout bien pesé, on rit alors beaucoup, au moins en dedans. On rit en silence, la respiration en sursis de la mourante tenant lieu de bande son. Ce silence, on l'accepte aussi. Pâle et diaphane, yeux fiévreux, Maxence Reyest une impeccable agonisante, aux râles inguérissables et aux gestes finissants. En cet instant elle n'est pas seule, plutôt bien entourée, dans l'entre deux. Entourée de morts et vivants. Ce n'est au début pas si facile de distinguer les uns d'autres. De sa place, au milieu. Parmi tous ces personnages, lesquels sont donc les fantômes de ses rêves et regrets? Et parmi eux lesquels sont les derniers accompagnants- frère, soeur, docteur- ceux-là pas au mieux de leur forme, du moins dans le regard de la mourante. Les endeuillés surgissent d'une porte noire et béante, leurs gestes souffrent saccadés et leurs pas tremblent. Les fantômes nés de ses délires ultimes, sont quant à eux souvent des bons vivants, doubles bondissants, qui batifolent, se taquinent et se poursuivent dans le plus simple appareil. Dans ces deux mondes dont elle est le point de rencontre, et sous ces deux lumières, le malaise se dissipe par l'effet libérateur d'un burlesque grinçant. Cette dé-dramatisation ne tourne jamais au ridicule, pourtant. De temps en temps la presque morte s'extrait de sa situation, pour s'adresser à nous posément droit dans les yeux. Ces moments nous permettent de relâcher quelque peu la tension, et aussi de nous faire prendre conscience qu'il s'agit pour le reste d'un pur théatre sans texte. Muet mais jamais ennuyeux, parfaitement chorégraphié et joué avec jubilation- certains matérieux déja travaillés dans vieille nuit ici réordonnés. Le tout est d'une claire et irréprochable construction.

     

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    Sans ostentation, donc un beau pas vers la réalisation de l'idéal interdisciplinaire. Déja à ce stade, car je suis le témoin privilégié d'un premier filage, l'oeuvre a alors encore un mois devant elle pour s'affiner. Isabelle Esposito semble résolue à gommer de la pièce tout ce qui lui semble encore trop naturaliste en état... Pour ma part je suis heureux du premier résultat, les yeux ouvert sur l'insaissable qui se délite, l'âpre fugacité de souvenirs sitôt condamnés. Yeux ouvert sur la mort vue en face sans tricher ni happy end, mais avec lucidité et tendresse, pour exorciser les peurs et cicatriser les regrets. Elle est morte bientôt mais reste vivante... jusqu'au dernier instant.

    Ce sera Je suis morte, mise en scène, chorégraphie et texte d'Isabelle Esposito, artistes interprètes : Christophe Cuby, Thomas Laroppe, Anthony Moreau, Isabel Oed, Maxence Rey, Alexia Vidals, vu en filage le 26 février, créé à partir du 25 mars à l'Espace 1789 de Saint Ouen.

    Guy 

    lire aussi: vieille nuit 

    photos de Christophe Rivoiron avec l'aimable autorisation d'Isabelle Esposito

  • Et pourtant elles causent

    Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on entend beaucoup parler sur les scènes de danse. A tort et à travers? D'aucuns jugeraient, mais jugeraient un peu vite, que le discours est la négation même de la danse, rien qu'un processus d'intellectualisation s'exerçant à rebours du corps. Les choses sont moins tranchées, heureusement, et les frontières d'un flou salutaire: il existe du théâtre sans texte également. N'empêche. Trans-discipliner n'est pas transcender. Qu'ils soient rangés dans la case «théâtre » ou la case « danse » telles que définies dans les programmes des lieux culturels, un Jan Fabre ou un Rodrigo Garcia se rencontrent au milieu du gué pour se noyer dans le même didactisme pesant. Les mots alors utilisés pour en remettre une couche à la destination de ceux pour qui l'image n'aura pas suffit pour comprendre.... D'autres chorégraphes considèrent le texte comme un moyen supplémentaire et expressif dont ils auraient tort de se priver. Mais sans toujours savoir le manier ; leurs pièces s'enrayent souvent en route d'une parole tentée au mauvais moment, mal maitrisée, et peinent à redémarrer. Là voix et gestes dissonent. Plus prudente, Maxence Rey (Les bois de l'ombre) choisit de parler... mais sans un son, lèvres ouvertes sur le mystère, offrant le sens à l'imagination... Ce qui semble nouveau dans des pièces tentées par quelques chorégraphes féminins vues ces derniers mois, c'est le parti pris de mettre paroles et gestes à égalité, assumés au service d'une narration organisée. Elles racontent des histoires...

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    Aude Lachaise ose quelque chose (Marlon)qui ressemble dangereusement de part ses codes à un One-woman show. Circonstances aggravantes: elle parle de cul et de cœur, d'elle et d'hommes. Avec le "je' de rigueur et l'apparence des confidences. Pire: elle est drôle. L'effet de surprise passé dans un contexte de lieu de danse, la tentative fonctionne tout à fait. Et ce qui passe inaperçue à la première vision au profit du récit c'est toute la précision du travail chorégraphique. Il faut sans doute revenir sur les photos pour mesurer à quel point le geste s'intègre au récit. Parler et bouger ainsi, c'est s'offrir deux fois.

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    Sophie Boquet(Golden Girl) raconte une histoire de blonde. Mais l'histoire d'une blonde triste. D'une fille simplette et aux rêves de star, qui va au devant d'inévitables désillusions. L'approche est inhabituellement sociologique, et la place de la danse singulière, puisque celle-ci intervient en complément du récit, selon les situations. Ainsi c'est bien le personnage et non l'interprète qui fait son numéro de danse disco ou de danse sexy dans une boite de nuit, etc.... La danse tient pour ainsi dire pour l'héroine le rôle de leurre, la fait exposer son corps en marchandise. Le récit est doux amer, sans qu'on ne sache toujours à quel degré le prendre, à quelle distance se situer, nous laisse entre tristesse et tendresse. 

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    A l'opposé, la narration de Viviana Moin est purement poétique. Cette femme peuple à elle seule la scène de personnages impossibles et drolatiques: Billy (l'escargot), Mme Gonsalvez (au piano)... Se dévoue corps et atours à un sens aiguisé du ridicule, de l'absurde et de l'autodérision. Avec la même beauté mélancolique qu'ont les magiciens qui ratent toujours leur tour. La parole, chargée d'accent outre atlantique, est hésitante forcement, vite hilarante, d'une maladresse calculée qui fait déraper le récit, et ose entraîner la danse vers des situations très incongrues.

     

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    Et pour finir il n'y a peut-être pas tant de différences que cela entre une danseuse qui parle et une actrice qui danse. Marie Delmares gravit son sentier de dépendance en tutu. Pour un monologue sentimental avec un sens de l'espace bien senti et une franchise crue.

    Guy

    En photos:  Aude Lachaise(par Jerome Delatour) dans Marlon vu à Point Eméphère, Sophie Boquet (par Gaëlle Maegder) dans Golden Girl vu à Artdanthé , Viviana Moin( ici par Jérome Delatour dans Mme Gonsalvez), encore ce soir à Artdanthé  avec Kataline Patkai et Marie Delmares (par Gérard Marché) dans Sentier de dépendance en ce moment au Lucernaire

     

  • J'ai retrouvé mon képi blanc

    Le kepi blanc revient cette semaine, à Artdanthé, avec d'autres propositions d'Hubert Colas. Je rediffuse donc la note du 20/3/2010

     

    Il y a des spectacles qu'on oublie deux heures aprés les avoir vus, sitôt évaporés de la pensée. Il y en a d'autres qui en souterrain font leur chemin, ne vous laissent pas en paix jusqu'à ce qu'on leur ait-dans un sens ou dans un autre, rendu justice. Dans cette seconde catégorie: Mon Kepi Blanc d'Hubert Colas, vu en novembre au Théatre de la Cité Internationale, qui sur le coup m'agace tout autant que la même soirée  CHTO  m'émeut d'emblée. Il me faut depuis lors quelques échanges avec Pascal Bely,  et hier encore une conversation avec Marion Franquet du T.C.I. pour formuler à ciel ouvert ce que jusqu'ici me trouble: j'ai jugé les propos prétés au personnage unique de la pièce- un légionnaire- trop outrés, jusqu'à en faire un archétype caricatural, un pantin raide derrière ses micros. Marion me fait judicieusement observer que, de même que pour CHTO, toute l'intégralité texte est d'origine documentaire, compilé par l'auteur Sonia Chiambretto à partir de conversations avec des militaires.

    Cette évidence lève le malentendu... Mon point de vue est libéré, c'est à dire que rétrospectivement mon point de vue n'est plus géné par celui de la mise en scène. Est rendue possible une même empathie envers deux personnages aussi dissemblables que la petite tchétchène de TCHO, et ce légionnaire, pourtant à priori rebutant,  raide et sanglé dans son costume et son discours martial, effrayant de puérilité... et si fissuré. Deux personnages dissemblables seulement en apparence, mais en creux confondus dans la même perte d'identité, en fait tous deux étrangers. L'homme est d'ailleurs et sans nom, adopté par la légion étrangère, mais n'existe plus que dans l'abandon et le don à un imaginaire patriotique. Cet imaginaire aujourd'hui à notre société aussi lointain que la lointaine Tchéchénie, le légionnaire est doublement exilé. Le "ON" comiquement accentué lui tient lieu de Je, et les chansons de pensée. Des chants superbes et ridicules de soldats perdus ou abandonnés, chants gorgés d'une mystique qui glorifie de vains sacrifices. Le militaire et la tchétchene partagent la même solitude, la même soif éperdue de réparation, dans des mises en scène toutes aussi belles et fines. Les deux pièces dialoguent dans leurs espaces scéniques et leur construction, mêmes repétitions et paroxysmes, même travail sur la langue, même force de la voix, même superbe engagement des corps des acteurs. Ce monologue sensible nous rappelle qu'il est si dur d'exister seul, c'est là le plus beau théatre, celui qui nous fait poser sur l'autre un regard aigu mais fraternel, si différent l'autre apparaisse-t-il.

    C'était Mon Kepi Blanc de Sonia Chiambretto mis en scène par Hubert Colas, avec Manuel Vallade, au T.C.I. . A voir avec CHTO le 31 mars à la comedie de Caen.

    Guy

    lire aussi le Tadorne

    lire ici CHTO interdit aux moins de 15 ans

  • Fans de nus ? (réponse tardive à ”l'épiphanie du nu” de Jerome Delatour)

    Des silhouettes féminines se laissent deviner derrière les rideaux, par morceaux, évaporées dans les rumeurs de la ville. Des chairs floues, déformées, précisées en un lent dévoilement, puis par un brusque éblouissement… Nu absolu: la couleur est annoncée. C'était le cas pour la performance présentée aux plateaux de la biennale il y a quelques mois. Et c’est toute la force et tout le problème de la proposition, un traité du nu en six études…

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    Sur le sujet du nu en général, je ne partage pas tout à fait l’analyse sociétale de mon ami Jérome Delatour (dans sa- trop rare- chronique à lire sur Images de Danse). Dans notre espace public, sur les écrans, les plages, les pelouses, les affiches, les corps me semblent plus que jamais (1) s’épanouir sans complexe, il est vrai à la concession prés du cache-sexe. Et c’est peu de dire que, dans l’espace du spectacle vivant, l’interdit est depuis longtemps tombé (disons depuis plus ou moins 68), ce qui reste toujours reçu diversement selon le contexte et le public. Il n’en reste pas moins que la nudité, quand elle se manifeste dans ce contexte, est rarement anodine ou innocente, d’une force qui ne se laisse pas épuiser…et surtout toujours un peu suspecte d’être instrumentalisée comme simple procédé de séduction, d’aucuns diraient de racolage. A bien les écouter on entend que les artistes sont loin d’être les derniers conscients de ce levier ou de ce risque…. On cède soi-même un peu à cette logique en partageant ici les photos prétées par la compagnie… Il faudrait toujours, dans les propositions concernées, un geste artistique fort et évident pour permettre de dépasser la relation d’exhibition et voyeurisme qui tendrait à s’établir entre artiste et public (je repense au passionnant Magical d’Annie Dorsen et Anne Juren): avec Who too d’United-C, c’est  parfois mais pas toujours le cas.

    En intégral et six chapitres, la nudité ne se laisse pas oublier, à l’avant plan. Fil rouge des propositions: cérébrale, sexuelle, académique, naturaliste, c’est selon. Il est en premier abord dérangeant, mais à la réflexion rassurant, que ces parties prises ensemble ne semblent pas pour autant former un tout homogène, l’inattendu dépassant parfois le parti pris de départ. Pour lire des impressions mieux ordonnées, on se reportera encore à Images de Danse. Je rejoins Jérome pour mettre à part des autres deux scènes qui s'en distinguent par la singularité du point de vue adopté.

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    D’abord Am I big, solo que je vois concentré sur la conscience de soi, matérialisée en monologue parlé. Pièce gorgée d’angoisse et traversée de panique, la femme saisit sa chair par poignées, tyrannisée par les normes. Puis Photograph, pièce dominée par la conscience des autres, la conscience du public. Les deux jeunes femmes sont assises immobiles et de coté sur des fauteuils, sexes dérobés à notre vue. Notre regard est interrogé par leur inactivité, trompé par des gestes d’une l'extrême lenteur. Est ce un défi, un refus, une lassitude? Une femme habillée vient, qui les détaille, nous regarde. Concession à notre attente, des mouvements des mains des danseuses immobiles annoncent d'imperceptibles affaissements, jusqu’à, enfin, la chute.

    Les autres pieces sont gagnées en commun par la violence des mouvements. Circulaires, répétés, urgents et traversés d’énergie. L’exécution d’une pièce à l’autre est inégale, mais c’est cette brutalité partagée et première qui gagne mon intérêt, cohérente avec la charge visuelle du nu, tout en parvenant par moment à s’en échapper. L’âpreté des gestes contraste avec la vulnérabilité des corps des danseuses, étourdies et étourdissantes. L’une d’entre elle évoque un archétype juvénile de Cranach, c’est de saison. Les soli se transforment en ensembles, entre décharges et temps lents, de la transe à l’unisson, sous le regard sévère et intermittent d’une femme habillée, qui semble jeter sur ce spectacle un regard sévère et distancié du haut de siècles de civilisation, pour jauger et accuser. Des mouvements incessants tournoient à contre jour. La fureur ou la frustration manifestent, s’épuisent en chutes, les jambes rougissent et la peau marque. Dans la mise à l’épreuve de l’interprète, on approche quelque chose de l’ordre de la performance, aussi vrai que la chair dévoilée. Si les corps présentés en eux-mêmes ne laissent plus rien imaginer, les gestes font deviner les tempêtes qui les agitent en dedans. Avec détermination, La danse apparait ici tout sauf sophistiquée: frustre et corporelle à un point qui peut troubler, voire susciter le rejet. D’un dépouillement entêté, l’énergie travaille le sujet jusqu’à l’épuisement, pratique une politique de terre brulée. C’est à prendre ou à laisser.

    Guy

    C’était Who Too d’United C, présenté en Mars à Vanves au festival Artdanthé

    Photo de Van Der Put avec l’aimable autorisation de la companie

  • La Ville des Enfants Perdus

    Il faut ouvrir les portes de "La Ville dont le Prince est un Enfant", entrer sur la pointe des pieds dans cet espace clos, aujourd’hui disparu, une institution catholique d'avant guerre. Un lieu confiné, masculin des maîtres aux élèves, un lieu codifié, les règles y sont dites, ou seulement implicites. Lieu d’abnégations, de devoir, de dévouement, de pouvoir, et d'abus de pouvoir. medium_Montherlant.3.jpg

    Un lieu où l'on forge les âmes, où l'on contrôle les cœurs, et les amitiés. Les enfants sont insouciants parfois, terriblement graves le plus souvent, presque autant que leurs maîtres. Ces amitiés naissent et s’enflamment, particulières parfois, tout est dans la litote, mais rien ne porte ici à ricaner. Car quelle est la vraie nature de l'amour ? Et qui sera autorisé à dire, qui sera autorisé à décider, si cet amour est pur, ou condamnable? Celui qui en juge sera appelé plus tard à lui-même être jugé.

    Il faudra toute la pièce pour que cette réflexion- à chaque réplique sous-jacente, s'exprime au grand jour. Mais de manière assez subtile et ambiguë alors, pour que chacun puisse en tirer sa propre morale.

    Pourtant, comme toujours chez Montherlant, l'amour- qu’il soit filial, ou presque, ou non- se vit en terme de pouvoir. Cet amour est emprunt de dureté, toujours dangereusement proche de la déception et du mépris. Les personnages de Montherlant, décidément, ne savent aimer sans vaincre, ou sinon tout perdre, muets, meurtris, foudroyés. La religion est ici tout sauf une consolation, bien au contraire. Plutôt une manière de vivre le sacrifice que l’on fait ou que l’on vous impose, dans le dépassement de soi, sinon dans l'amertume et le regret.

    La construction est rigoureuse, linéaire, acétique. Le texte est joué sans affectation, au plus prés de la vérité, et en oubliant tout le reste, par trois générations de comédiens qui s'affrontent ici en duels successifs, jusqu'au final. Trois âges de l’acteur: de tout jeunes gens fougueux qui incarnent les élèves, Pascal Parsat(l'abbé de Pradts), dans la force de l’art et de l’age, technique, physique, hallucinant, enfin Robert Marcy (le père supérieur) imposant de retenue et d'intensité, à qui il suffit d’un regard pour jouer une situation.

    Au T.N.O. encore, et toujours dans le cadre de l’intégrale Montherlant, mis en scène par Jean-Luc Jeener.

    Guy

  • Transit: Berlue à Bercy

    Certains enfants restent figés sur place, bouche bée, dans leurs yeux grands ouverts un océan de curiosité et une pointe d'effroi. D'autres continuent à jouer, comme si de rien n'était: dans ce monde compliqué il faut beaucoup d'expérience pour faire le tri entre ce qui est normal et ce qui l'est un peu moins. Dans tous les cas les mamans prudentes s'empressent de retirer les marmots du milieu du chemin, où les quatre danseurs de Transit avancent chaotiquement, sur le pavé devant les chais de la place Saint Emilion, dans le village de Bercy. 

    e5e0ae99d85b484d4d54ad9d28701a1d.jpgLa première créature, grimaçante, trace sa route incertaine dans la réalité de ce début d'aprés midi, tire un filet de pêche, où les trois autres sont empêtrés. Tous quatre habillés de noir et maquillés de blanc, se débattent, tournoient et tombent. Tordus, muets, aveugles, hors d'atteinte. Gyohei Zaitsu, le crane rasé et interminable, la peau de ce crâne livide et marquée de la strie du filet, bouche rouge de sang. Maki Watanabe, saisissante d'intensité de chute en chute, en déséquilibre constant. Quatre noyés, en transit vers les enfers? Une procession de condamnés?

    En tous cas une vision dérangeante, telles qu'on voit rarement s'insinuer dans le quotidien rassurant d'une promenade familiale. Quelques passants osent s'arrêter, s'attardent à accompagner le groupe le long de ses divagations. La plupart des promeneurs soutiennent l'épreuve quelques secondes et quelques pas. Tentent d'apprivoiser la situation d'un sourire. Mais, chaque fois, ne peuvent faire autrement que de porter un jugement. Entre tous ces témoins, de brèves conversations incrédules, souvent ironiques et toujours un peu affolées, avant que de tourner les talons. On s'interroge. On condamne: c'est evidemment trop morbide, trop violent. Ou l'on autorise: d'accord c'est très bizarre, mais pourquoi pas, après tout ils ont bien le droit? Et quand on reste pour regarder, on reste muet alors, est ce par émotion? Pour une fois la danse va à la rencontre du monde, et le monde est obligé de lui répondre, ne serait ce que quelques secondes durant.

    C'était Transit , avec  Cinzia Menga, Cécile Raymond, Maki Watanabe, Gyohei Zaitsu, pour une improvisation dans le village de Bercy, avec entrez dans la danse.

    Guy

    P.S. : une photo d'un peu plus tard dans la même journée, avec l'aimable autorisation de la compagnie transit 

  • Etats de nues

    Vous n’avez encore rien vu, et je n’avais encore rien vu de sous ma peau, au moment de l’extrait montré en janvier dernier. En 9 mois la gestation a fait son œuvre. J’avais alors vu, de ce trio de femmes, l’identité remise à zéro par la mise à nue. Une idée d’absolu. Masquées et anonymes, corps vierges et découverts. Des poses assises en clair obscur glissaient légères vers des affirmations de soi allusives, minimales, s’abstrayant de la vulgarité ou de la pudeur. Le corps se lisait lent, évoluant doucement dans un état d’érotisme suggéré, qui sait? Mais elles se transformaient déjà, par des exercices de monstruosité ou de laideur, au point d’abolir même la laideur. Les masques tombaient alors sur une interruption, ils tombent ce soir sur d’autres mystères. Des masques sous les masques, et plus encore.

     

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    Je croyais la ligne bien tracée depuis ce début, mais ce soir les mues continuent, d’autres peaux sous la peau première, je sais que je ne sais plus. La pièce s’élance, mais dense accumule les sens, la danse les ambivalences. Leurs identités se reconstituent, se perdent, s’affirment à nouveau mais chaque geste s’accumule, à double sens, nos sens chavirés. Elles s’animent et se jaugent, s’étalonnent, s’affrontent en rivalités aveugles, enfin se fondent ensemble, se consolent en toute sororité. Où est-ce un charnier? Hiératiques, visages effacés tels des mannequins dans une vitrine, elles tremblent l’instant d’aprés, vulnérables et terriblement humaines. Après des balancements organiques, elles sont saisies d’emballements mécaniques. Clins d’œil sous les archétypes féminins, couche sur couche. Au millimètre. Les états charnels dessinent peu à peu en subtilité une belle, ample, fresque du premier sexe, vers l’émancipation: dernier masque arraché c’est le visage qui a le dernier mot, avec fierté et humanité. Cette pièce n’est pas féministe, elle est sans doute politique, en toute subtilité. Je suis laissé confus, et impressionné. Dans l’admiration et la perplexité. Je n’ai pas tout vu. Faut-il avoir le regard d’une femme? Pourtant j’étais prévenu. J’avais vu plusieurs fois et avec plaisir les bois de l’ombre et jamais vu la même pièce. Cette pièce là, je la reverrai, et chaque fois elle aura encore fait sa mue.

    C’était Sous ma peau de Maxence Rey, vu en filage à l’Atelier Carolyn Carlson, créé à LEtoile du Nord jusqu’à ce samedi.

    Guy

    photo: Aléida Flores Yaniz avec l'aimable autorisation de Maxence Rey

  • Tentative de virginisation du récit

    Cette performance, je l’ai déjà racontée ici, et trop précisément (mais comment résister ?), alors qu’une grande part du plaisir d’y assister vient de la surprise ressentie, et de l’inattendu. Je m’adresse donc à ceux qui ne m’ont pas lu, ou qui ont oublié. Ceux qui résisteront à la curiosité de rechercher le premier récit. Juste pour dire qu’ils auront rendez vous dans un lieu inconnu, quelque part dans Paris, sans savoir ce qu’ils iront voir. Ils seront un petit nombre à assister à cette performance dans un lieu qui n’est pas conçu pour cela. D’une certaine manière, dans ce lieu, le temps deviendra circulaire. C'est-à-dire qu’à la fin, à bien observer,  il pourra ne s’être rien passé. Les détails auront alors de l’importance. Les spectateurs seront sans doute fascinés. Ils seront amenés à se demander si les lieux, même vides, peuvent être marqués par la mémoire des evenements. Ou s’il ne s’agit que d’une illusion induite par le récit. La présence de l’interprète sera forte, proche, charnelle. Et immatérielle, tant cette interprète paraitra ne pas voir les spectateurs à sa portée, semblera sur le point de les traverser, au même titre que la pièce. Comme si on l’observait évoluer dans un autre lieu, dans un autre temps. Et il sera étrange de voir l'interprete et les spectateurs d'en face, dans le même plan. Un récit sera entendu, on ne sera pas obligé de croire en sa véracité. Les liens avec ce qui sera donné à voir se feront lentement, peut-être aprés coup. Dans l'instant, le dépouillement laissera de la place à l’émotion. Des gestes banals deviendront improbables, pour certaines raisons. D’autres resteront inexpliqués. L’invisible prendra autant d’importance que le sensible. La fin sera devinée, il n’y aura pas d’applaudissements.


    Je pensais vierge mais en fait non, de Thibaud Croisy , avec Sophie Demeyer, performance hors les murs du Théâtre de Vanves dans le cadre du festival Artdanthé, les mardis et vendredi jusqu’au 17 fevrier.

    Guy

  • Mythique

    D’une année l’autre, sur un tel solo, le regard se déplace, se laisse surprendre. Tant le corps vu ici, si dense et lent, lui s’obstine. Depuis l’extrait vu au printemps dernier, mon attention porte moins sur l’objet, et plus sur le phénomène, s’échappe de ce qui est vu vers ce qui ne se laisse pas saisir, Eurydice

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    La proposition me semble moins érotique, plus essentielle et énigmatique. La nudité n’est pas la vérité. Rien de la danseuse ne se dérobe, tout d'elle se déforme. L’imaginaire ne peut alors se nourrir de rien de caché, sur la peau il fait réfraction, mais ainsi s’enrichit. La théâtralité revient par la lumière, qui décompose, morcèle les framents d’une potentielle identité. Modèle la succession des postures clouées à terre, trouble et nous emmène dans d’étranges territoires. Du plus organique au plus plastique. Le visage reste un masque, mais je ressens que les mouvements convergent peu à peu vers la construction d’un tout, d’une conscience de soi et du monde, avec nous dans un échange muet. Le corps accède à la verticalité. Le masque tombe, révèle l’humanité.

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    De cette sobriété, de ces points de départ, au long de ce parcours sur le fil, si fragile, chacun peut recréer de son regard. Je vois une histoire d’origines. Un corps premier qui littéralement nait de l’obscurité, au début des temps dans le fracas d’un accord fondateur, suivi d’éclairs de décharges d’énergie. .. Des transformations. Des effarements et des soubresauts, la vision blafarde d’organes reptiliens, l’évidence de la structure des os qui affleurent sous la peau, avant que ne s’installe la chair, que s’incarne l’âme. Jusqu’à se révéler en l’idéal d’un corps entier et antique, lisse et asexué comme une statue sans aspérités, paradoxal, à la fois femme et déesse, concrète et abstraite, nue et révélée mais épurée et inaccessible par cette distance invisible entre l'être et sa représentation, dans l'ambiguité.

    C’était l’Effraction de l’Oubli de et par Camille Mutel, vu à Mains d’Oeuvres dans le cadre du festival Incandescences.

    Photos d'A.V. Tisserand avec l'aimable autorisation de la compagnie

  • Des regrets: Charmatz's Best of Cunningham

    Je cherchais cet aprés-midi du neuf, mais Flip Book de Boris Charmatz s'avère être un avatar de 50 ans de danse, déja vu cette saison au Théâtre de la Ville. Il s'agit là encore de la réinterprétation dansée des photos d'un livre consacré à Merce Cunningham, tourné page aprés page. Jouée cette fois-ci en plein air et sur gazon, les corps des interprêtes bien petits confrontés aux tours de la Défense. Je suis gagné comme en salle par le même désintéret, juste distrait par les télescopages musicaux, quelques extravagances et pointes d'impertinences. Il y a au départ une idée inattendue (Chamartz n'en manque pas), mais je ne parviens pas à l'oublier pour gouter au résultat. Dois je regarder cette proposition comme un hommage, une entreprise de sauvegarde? L'an dernier avec Charmatz je comprenais mieux Hijikata, aujourd'hui je n'apprends rien de Cunningham. Dans le genre rétrospectif, je préférais les insolentes évocations de Pina Bausch vues à Artdanthé, tournées vers le présent. S'agit-il d'un simple exercice de style?  Dans l'art de remplir les vides entre les arrêts sur images, le travail d'Hermann Diephuis me semblait plus convaincant. Ici la contrainte semble figer les images, le mouvement entre elles ne reste qu'un passage. Les clichés figés dans le passé, comme l'album photo d'une famille qui ne serait pas la mienne. Je prends conscience alors de ce qui me gêne, la sensation d'assister par erreur à un spectacle de danseurs pour danseurs, exclusivement.

    C'était, de Boris Charmatz, Flip Book , vu sur l'Esplanade de la Défense avec le festival Seine de Danse et 50 ans de Danse, vu au Théatre de la ville

    lire aussi,  le tardorne et images de danse